mercredi 3 août 2011

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vendredi 29 août 2008

Opération réussie

0 km. Cum: 9322 km.


Moose Jaw, SK - Après un long jeûne, j'ai été opéré un peu après 15:00 jeudi. On a mis un peu moins de trois heures à colmater tout ça. C'est un peu plus de temps que le médecin avait prévu et ce sont dix vis au lieu des douze planifiées initialement.


Le réveil est plus difficile. Premièrement, on m'a changé de chambre, un autre patient avec une marchette s'accommodant mieux de la mienne. Après deux semaines, c'était presque devenu mon loft. Deuxièmement, le mal de bloc suivant l'opération me semble proportionnel au carré de la durée de l'anesthésie. Troisièmement, en plus du soluté qui m'irrigue le bras droit et du drain qui vide mon bras gauche, on me pousse de l'oxygène avec un espèce de tube collé sous les narines. C'est sans compter le sphygmomanomètre qui compresse le bras automatiquement aux 30 minutes. Si je pars à courir dans mon délire, ça va bringuebaler derrière moi comme les casseroles qu'on accroche aux voitures des nouveaux mariés.


J'ai peine à dire à quelle heure je me suis réveillé après l'opération. Peut-être à la brunante, ce qui nous met autour de 20:00. La sensation de pression constante alliée à l'image mentale d'avoir des rivets de métal dans le bras m'a fait opter pour une dose de morphine. On dirait qu'on pousse un couteau dans mon bras, du mauvais côté de la lame. Une douleur contondante, mais pas tranchante. Après qu'on m'ait dit qu'on avait parlé à Monia, ma première requête fût quelque chose à manger. Tout un festin, un demi-sandwich et un jus de pomme. Paraît-il qu'il est préférable de se ménager l'estomac après ce genre d'anesthésie.


J'ai dormi de façon intermittente entre les interruptions de suivi. Je suis sur le gros Tylenol et je me porte beaucoup mieux ce matin, surtout depuis qu'on m'a apporté mon petit déjeuner. La douleur est latente, mais tolérable.


Désormais, je me promènerai avec quelques grammes de stainless steel dans le bras gauche. On m'a montré les radiographies ce matin et on voit bien les plaques en parfait alignement avec les os. Ce sera maintenant encore plus fastidieux de monter dans les avions, mon bras faisant tinter à tout coup les détecteurs de métal. Monia arrive ce midi. Ce sera la première fois depuis 77 jours que je pourrai la serrer dans mes... euh... mon bras.


Sur cette dernière missive, je conclus cette épopée épistolaire. J'aurais aimé la terminer avec Cannondale sur la rue Shefford en chantant Back To You de Brian Adams, mais c'est plutôt de ce lit d'hôpital que je mets le point final en fredonnant Comfortably Numb de Pink Floyd.


FIN.

mercredi 27 août 2008

Jour 66 + 9: Almost there

0 km. Cum: 9322 km.


Moose Jaw, SK - Après tout ce temps passé ici, je pense avoir rencontré le payroll de l'aile chirurgicale et pédiatrique (qui relève la chirurgie en période creuse) au grand complet et j'achève de faire le cycle de deux semaines du menu de la cafétéria. Cet après-midi, celle qui a procédé à mon injection d'antibiotiques a décidé d'utiliser la pompe électronique (sur le poteau) au lieu de me pousser la seringe directement dans le tube. Comme elle travaille habituellement à la pédiatrie, c'était la première fois qu'on se rencontrait. Je l'ai mis en garde que la machine allait bloquer et qu'elle devrait revenir plusieurs fois. Incrédule, elle a fait à sa tête en me disant qu'elle savait dompter ces machines mieux que moi. Je l'ai déridé en lui poussant: "Écoute b'en, j'pense que ça fait plus longtemps qu'toi que j'suis ici...".


J'ai eu l'occasion de jaser avec une infirmière de 63 ans. On ne voit plus beaucoup ça au Québec des employés de l'état de cet âge, on les a toutes mises à la retraite d'un coup au tournant du siècle au nom du déficit zéro et maintenant on nous chante qu'il y a une malheureuse pénurie. Qu'est-ce qu'on attend pour les ramener à contrat ?


Même si la Saskatchewan semble être moins pressée de renvoyer les malades à la maison, ce n'est pas parfait. L'allocation des ressources financières semble tout aussi problématique ici. Mon chirurgien ne peut pratiquer plus d'un remplacement de genou par semaine, alors qu'il pourrait facilement en faire deux par jour d'autant plus que la liste d'attente dépasse 24 mois. Pourquoi ? Ça coûte trop cher. J'ai parfois l'impression qu'on calcule avantageusement que la moitié de la liste va mourir avant d'avoir eu son genou. Le Canada est un des pays les plus riches au monde avec l'accès à la meilleure technologie. L'homo sapiens est allé sur la Lune (en 1969), mais il semble qu'on n'arrive pas à résoudre l'équation du système de santé publique. Peut-être que nos élus gagneraient à passer toute une session parlementaire à l'hôpital.


Ma chirurgie finale est prévue pour demain jeudi à 14 heures. Je vais m'empiffrer de biscuits avant qu'on me coupe les vivres à minuit...



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mardi 26 août 2008

Jour 66 + 8: C'est long...

0 km. Cum: 9322 km.


Moose Jaw, SK - C'était à prévoir. Quand je suis une longue période sans aérobie intense, je déprime. C'est comme si l'exercice physique régularisait ma chimie interne. C'est une question de sérotonine ou de neurotransmetteurs. Il m'arrive de tourner dans le vide même lorsque je m'entraîne régulièrement, mais à l'inverse, l'effet dépressif est automatique après un arrêt significatif. Il y a peut-être des circonstances aggravantes. Le syndrome du gars qui reste en arrière après que Bill soit parti. J'imagine que de rester dans un hôpital pendant plus de huit jours à 3000 km de chez-soi peut aussi avoir un impact sur le moral.


Je me connais suffisamment pour reconnaître ce déficit chimique temporaire en opposition à un épisode dépressif plus grave. Ça m'arrive de temps en temps d'avoir du sable dans l'engrenage à ce niveau. Ça ne parait pas trop dans mon quotidien, j'ai même parfois des pics de performance dans ces lourds moments, mais je deviens parfois une loque en panne de joie, un couteau pas de lame qui a perdu son manche comme dirait l'autre. Évidemment, en bon homo sapiens mâle, je m'enferme alors dans ma caverne et je contemple le gouffre qui s'ouvre devant moi. Je passe toujours au travers, c'est comme dans mes 66 jours, pas tant Si je vais y arriver que Quand. Ça débouche parfois sur une belle folie de quelques mois...


Ce spleen passager s'effacera sans doute quand Monia va se pointer à la fin de la semaine. Et puis soyez sans crainte, tant que j'écris, je souris. Je vous raconte tout ça sans pudeur, car je crois qu'il y a encore un énorme tabou sur la santé mentale en général. On parle facilement de nos grippes, nos gastros et nos tendinites, mais on évite de parler de dépression, de dérèglement cyclothymique, hormonal ou autre. Le tabou provoque le silence qui engendre l'isolement. Contrairement à la grippe, l'isolement dans ce cas-ci est contre-productif à long terme.


Mon petit down est bénin. Comme je dis souvent, ça pourrait être pire. Dites-vous que même si ça ne guérit pas le bobo, ça fait du bien d'en parler.



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lundi 25 août 2008

Jour 66 + 7: Petit lundi gros cadeau

0 km. Cum: 9322 km.


Moose Jaw, SK - Depuis tout ce temps que je suis ici, j'ai réalisé que dans une aile d'hôpital, tout le personnel soignant de tous les quarts de travail connait chacun des cas de l'étage. Contrairement à mon monde informatisé où l'accès à l'information est scrupuleusement cloisonné, ici le partage total de l'information à mon sujet est clé. J'ai dû recevoir mon injection d'antibiotiques par au moins 7 infirmières différentes sans compter quantité d'auxiliaires qui sont au courant à l'heure près de mes fonctions métaboliques et ce jusque dans les détails des moindres manifestations cataboliques.


Lorsque j'ai réussi à pouvoir acheter des magazines, le choix étant restreint, je me suis rabattu sur Men's Health. C'est un mensuel axé sur la glorification physique, mentale et sociale du mâle en nous. Comment parler aux dames, améliorer sa nutrition, avoir de meilleurs abdos, avoir l'air brillant dans un 5 à 7, dissimuler ses kilos en trop, rehausser son estime de soi, acheter le meilleur habit de ski, bien s'habiller, etc. C'est comme un Elle Québec, mais pour hommes. Dans le numéro que j'ai, il y a un supplément Style pour l'automne qui explique comment s'habiller pour être à la mode cette année. Tellement pas mon genre, j'achète toujours le même linge, mais en pyjama d'hôpital, mal rasé, en bedaine, juste d'avoir ce magazine en main peut trahir une certaine recherche de raffinement et donne un peu de contenance pour affronter une jeune infirmière quand on ne se montre pas sous son meilleur jour. Ça marche jusqu'à temps qu'elle demande si j'ai des flatulences et si mes selles sont bien formées. Après ça, on réalise que tous les conseils du magazine, on peut s'essuyer avec. Vive l'authenticité.


Avec cet atmosphère d'information complète, j'ai donc été surpris ce matin quand on est entré dans la chambre en appelant mon nom, car tout le monde ici me connait. C'était la distributrice du courrier qui avait un beau paquet pour moi. Une jolie carte, une histoire composée et illustrée par Rachel & Marguerite mettant en vedette mon papillon et un poster à la gouache de Julien qui vient tout juste de prendre une année; un livre, du papier à écrire, des photos récentes, un cahier de mots-croisés et même une chemise. Merci à Marguerite, Rachel, Julien, Isabelle et Michaël, c'est touchant et utile à la fois...


Mon ami Bill a obtenu son congé aujourd'hui et il me semble que la chambre est plus grande tout à coup. Le cadeau est arrivé à point, car j'aligne les mots-croisés à coup de quatre. Je ne fais pas ça n'importe comment, je fais ça avec style en suivant les conseils de Men's Health, le petit doigt en l'air...



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dimanche 24 août 2008

Jour 66 + 6: Ça passe vite

0 km. Cum: 9322 km.


Moose Jaw, SK - Je n'aurais jamais pensé dire ça, mais mes journées passent vite à l'hôpital. Au lever, c'est la séance de lavage, puis le déjeuner. Je vais un peu à l'extérieur, puis dans mon corridor. Je ne dois pas trop m'éloigner, car on me pistonne des antibiotiques régulièrement, on vient mesurer pression, saturation, température et ma perception de douleur. Dîner à midi, souper à cinq heures, collation à sept et quart. Le reste du temps, je marche, je lis et je jase avec Bill. Le temps passe vite.


Peut-être est-ce parce que je suis oisif ces jours-ci et que je cherche à m'occuper, mais il me semble que ce serait un beau projet de produire un guide avec des cartes pour la traversée du Canada en vélo. Évidemment, ce serait un travail collectif avec une communauté de cyclistes dans tout le pays, mais je pense qu'à l'ère électronique, c'est une chose très réalisable. Je me suis mis à rêver qu'en formant une équipe interprovinciale et s'associant des partenaires d'intérêt, on pourrait collaborer avec les différents ministères des transports (et de la santé) pour améliorer la signalisation et les accotements sélectionnés. Une route grise pour les pneus étroits.


Plus j'y pense, plus c'est faisable et gagnant pour tout le monde. Juste pour le segment sur lequel je me suis fait frapper, avec Bill et ma carte routière, je peux déjà voir une alternative intéressante qui passe par Gravelbourg et une réserve aquatique. Cette route est-elle cyclable ? Ça prendrait un collaborateur local pour le confirmer. Suffit de rassembler autant de mordus de la bécane prêts à s'impliquer et on pourrait tout au moins cartographier d'un océan à l'autre une route plus sécuritaire. De là, on pourrait greffer des partenaires et intéresser des annonceurs à offrir des rabais aux cyclistes avec un membership qui financerait l'impression et la mise à jour des cartes. Ouais, plus facile à penser qu'à réaliser quand on a déjà un emploi à temps plein. Comme le dit bien Pierre Lapointe dans mon iPod qui ne marche plus: "Ce n'est sûrement pas de tomber qui nous empêchera de rêver".


Bill m'a encore surpris aujourd'hui. Il joue du saxophone par oreille et a déjà appris à résoudre un cube Rubik. Comment on en est arrivé à parler de ça ? Je ne sais trop où ç'a commencé, mais on discutait de la mémoire des doigts. À force d'exécuter des gestes, nos membres finissent par les apprendre, tellement qu'on ne peut les enseigner qu'avec peine, comme si notre cerveau avait délégué cette mémoire aux membres exécutants. Je ne pensais jamais pouvoir connecter autant avec quelqu'un du double de mon âge.



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samedi 23 août 2008

Jour 66 + 5: Une niveleuse pour Bill

0 km. Cum: 9322 km.


Moose Jaw - Qu'est-ce que vous feriez si vous gagniez des millions ? C'est Bill mon co-chambreur qui a soulevé la question. Il racontait qu'un groupe de la Saskatchewan s'est récemment partagé un gros lot de plusieurs millions et nous nous sommes mis à discuter du destin typique des nouveaux millionnaires.


À 80 ans (et demi), Bill est ici pour un deuxième genou. Un fermier encore actif, sa famille aura beaucoup de difficulté à le garder à la maison à son retour. Il espère pouvoir superviser la récolte depuis son cart de golf. Canola, orge, blé, avoine et paille, tout ce lot de céréales doit être cueilli selon une certaine cédule qui peut varier selon les aléas de la météo. Il y a toujours quelques paris à faire en espérant optimiser le rendement. Le gel, la forte pluie et la grêle peuvent tout chambouler.


L'autre soir, l'orthopédiste venant de lui annoncer qu'il devait rester hospitalisé deux jours de plus, sa fille offre de lui apporter son laptop avec quelques films. Avec les écouteurs et ses appareils auditifs, il pourrait bien entendre. Bill ne veut pas, car de toute façon, dans les films d'aujourd'hui, l'action commence en 1995 et rendu en 1996, ils se rendent compte qu'ils ont oublié de nous en conter un bout et on se retrouve en 1980 pour éventuellement finir dans le rêve futuriste d'un personnage qui se déroule en 2006. En bas d'un bon vieux John Wayne, ça ne vaut pas. Si jamais je réalise un film, je n'inviterai pas Bill à la première. Mon film enchaînerait les scènes ayant pour fil conducteur une suite de personnages tous à cheval sur deux tableaux et il se terminerait en revenant à la toute première scène en s'étant enroulé sur lui-même mystifiant le spectateur. Ça s'appellerait Le Ruban de Moebius. Vous pouvez me voler mon idée, en publiant ce texte, j'officialise mon droit d'auteur. Pas sûr que c'est clair de toute façon.


Bill et moi, on a cependant la même vision pour ce qui est de gagner le million. Premièrement, les taux d'intérêt sont tellement bas, il faudrait continuer à travailler. Un certain Sylvain m'a déjà dit que s'il gagnait le million, sa France devrait continuer à travailler. Bill, comme moi, continuerait sa vie normale en vaporisant de l'argent autour de lui, mais pas trop pour ne pas bouleverser la vie de ses proches, trop d'argent causant souvent plus de tort que de bien. Comme je lui précisais que j'en profiterais pour voyager un peu plus, il a candidement avoué que lui craquerait pour un gros jouet. Je pensais qu'il dirait une moto ou un gros 4X4, mais non. Bill se payerait une grosse niveleuse (un grader en bon québécois). Il m'a expliqué avoir manœuvré ça pendant vingt ans avant de devenir fermier à temps plein. Il a construit des milles de chemin à lui seul en utilisant ce seul engin, manœuvrant les steering-clutches comme un artiste le pinceau. Aujourd'hui, lorsqu'il passe sur une nouvelle route, il porte plus attention au fond de chemin qu'au paysage, rêvant de réparer tous les trous et les bosses avec son hypothétique niveleuse.


Libéré de mon poteau, j'ai pris un bol d'air aujourd'hui en sortant dans l'aire de pique-nique. Ça fait du bien de goûter le soleil et sentir le vent nord-ouest 5 à 10 km/h. Déjà un peu nostalgique de ne plus faire de vélo, je me suis payé mon voyage à l'envers en photos cherchant à montrer à Bill les bidules d'irrigation que j'avais vus. Les visiteurs de Bill se désolent que je ne puisse mieux visiter leur ville. C'est vrai que j'aurai passé plus de 14 jours ici. Je les ai consolés en disant que lorsque j'évoquerai l'été 2008, je serai forcé de dire que je suis allé passer deux semaines à Moose Jaw. C'est juste que j'ai fait un long détour pour m'y rendre.



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vendredi 22 août 2008

Jour 66 + 4: La vie au ralenti

0 km. Cum: 9322 km.


Moose Jaw - L'adage dit: On ne peut pas juger un homme sans avoir marché deux milles dans ses souliers. C'est Yves Corbeil qui disait ça dans une pub de margarine Fleischman quand j'étais flot. Ma mésaventure me permet une immersion intéressante dans le milieu hospitalier. On y voit l'organisation des tâches, la hiérarchie des rôles et l'absence flagrante (scandaleuse ?) de technologie dans le traitement de l'information médicale. Je pourrai surtout ajouter un peu d'expérience à mon empathie lorsqu'un ami partagera ce qu'il a vécu lors d'une visite, qu'on espère rare, à l'hôpital. Rien à voir avec des séances de chimio ou autres interventions majeures, mais j'aurai tout au moins marché moi aussi quelques km dans les belles pantoufles bleues en papier.


Monia a obtenu le feu vert de notre assurance-voyage pour venir me rejoindre et me raccompagner à la maison quand je serai plâtré. Ce serait sans doute la fin de semaine prochaine. On a tous les deux hâte à ce weekend en amoureux après plus de deux mois de séparation géographique. C'est une lune de miel imprévue aux frais de l'assureur, mais qui m'aura presque coûté un bras (le gauche). Comme dit Monia, je n'ai pas à me plaindre, nourri et logé à l'hôpital pour dix jours, je vis su' l' bras pour un bon bout. OK, ça va faire François Pérusse...


Autre belle avancée, j'aurai l'attelle plus sophistiquée que Monia a suggérée. Suffisait d'en parler à l'orthopédiste qui a transformé cette demande en prescription et ainsi la Saskatchewan va payer ça aussi. C'est très utile que ma physio de blonde me souffle les questions et les réponses et puis comme dirait Yves: Demandez et vous recevrez. Suffit de savoir ce qu'il faut demander. Me voici enfin libéré de mon poteau. On a laissé l'interface sur le dessus de ma main et on branche le tube que lorsqu'on doit me pousser des antibiotiques. Je peux maintenant circuler plus librement.


En regardant une rare pluie s'abattre sur la prairie ce matin, je me suis surpris à essayer de lire le vent comme dirait Dale Cannon. Bien à l'abri dans les corridors de l'hôpital, ça n'a plus d'importance. Je dois m'adapter à un rythme infiniment plus lent. Je jase avec mes voisins octogénaires, je fais des marches dans l'aile en distribuant des sourires, je lis en attendant les repas l'estomac impatient et je lis mes courriels. Maintenant qu'on m'a libéré du poteau, je pourrai peut-être envisager d'explorer plus de terrain que les 270 pieds linéaires de mon trajet actuel. Quel contraste avec le défilé de km que j'ai récemment avalé. Pas grave, le plaisir ne se compte pas seulement en kilomètres.



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jeudi 21 août 2008

Jour 66 + 3: Le papillon

0 km. Cum: 9322 km.


Moose Jaw - Vous avez sûrement remarqué le papillon jaune qui apparaissait sur les photos de temps en temps. C'est un cadeau que m'a donné ma filleule Marguerite pour me porter chance. Je ne suis pas superstitieux. Ce papillon, construit de bon cœur par une grande fille de 8 ans, a non pas servi de talisman, mais de lien concret avec les gens qui attendaient mon retour. Cet objet manipulé chaque jour de ma randonnée pour le placer sur le dessus de mon sac générait chaque fois une pensée pour ma filleule, qui engendrait spontanément une pensée pour quelques autres personnes attendant mon retour. À mesure que j'ai avancé, je me suis rendu compte que Marguerite avait de plus en plus de monde à sa suite, grâce à tous vos messages. Ce papillon est indestructible. Il est encore dans l'état original après tous ces km. Mon père aurait dit qu'il est fait en talons de claque. En plus, je dois avouer que pour la chance j'ai été servi. Sachez qu'il trône maintenant sur le mur de ma chambre.


Un autre lien avec vous tous au Québec, c'est Radio-Canada en français, maintenant que je suis cloué à l'intérieur. J'ai vu la performance de Émilie Heymans en direct à CBC, me surprenant que la SRC l'ignore. Je me suis rendu compte que même le direct est décalé de deux heures, car exactement deux heures plus tard, j'ai tout revu ça en français avec le "En Direct" en surimpression électronique. C'est en direct deux heures plus tard... J'ai aussi appris la nouvelle époustouflante que Nathalie Simard, qui m'semble avait affirmé vouloir qu'on lui fiche la paix, s'est mariée à pleines pages glacées en couleur dans le magazine du bonhomme à lunettes qui nous souhaite toujours Bodne Sebaine.


Vous vous demandez sûrement pourquoi je ne reviens pas immédiatement au Québec maintenant que la blessure est fermée. Mon ennemi numéro 1 est l'infection. M'exposer à l'environnement externe accroîtrait les risques et je préfère que celui qui a commencé et en qui j'ai pleinement confiance finisse le travail. Après discussion avec quelques membres du personnel, j'ai compris que j'avais un certain traitement de faveur. On considère ridicule de me libérer sachant que je vais finir à l'hôtel aux frais du système public de toute façon. C'est plus simple pour tout le monde de me garder ici et ça rassure le médecin. Il y aussi que j'ai atterri (presque littéralement) à Moose Jaw qui gardent ses patients post-op un peu plus longtemps qu'à Régina ou au Québec, question d'administration, de disponibilité de lits et de personnel. J'ai bien tombé (littéralement).


Bref, je passe le week-end à me reposer avec de l'antibiotique intraveineuse jusqu'à ce que l'œdème disparaisse. Le médecin va regarder lundi et planifier la chirurgie finale, potentiellement vendredi. C'est là que je saurai la date potentielle de mon retour. J'ai trouvé un bon livre, je me tape des vieux Seinfeld et j'écoute Radio-Canada deux heures en retard. Ah oui, souhaitez bonne fête à Julien demain. Vous êtes plusieurs à ignorer c'est qui, mais ça n'a aucune importance, dans mes pensées qui papillonnent, comme vous tous, il tient la main de Marguerite.



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Coucou

mercredi 20 août 2008

Jour 66 + 2: Jeûner

0 km. Cum: 9322 km.


Moose Jaw, SK - Depuis 21:00 hier (mardi), on a cessé de me nourrir et à minuit on m'a soustrait l'eau, sachant que je passerais en salle d'opération aujourd'hui (mercredi). J'ai dormi plus que la veille, mais il faudra m'habituer à dormir avec un bras en écharpe. Je ne suis pas le premier, les récents opérés de l'épaule peuvent sûrement en témoigner. J'ai vu passer le déjeuner de mes co-chambreurs ainsi que leur dîner. J'ai eu mon petit mal de tête de manque de caféine. J'ai changé de chaîne à chaque pub de hamburger. En après-midi, j'ai laissé la télé aux Olympiques, mais McDo est un des commanditaires. Ça fait une différence drastique avec les 6000 calories qui me propulsaient chaque jour. Ce fût juste cruel de repenser à tout ce que je me suis permis d'avaler pendant deux mois.


À 14:00, on m'a fait faire un aller-retour escorté jusqu'au bureau du médecin pour qu'il marque d'un X le bras à recoudre. C'est la procédure pour éviter les erreurs et personne ne semble apprécier, surtout pas le médecin et l'anesthésiste qui trouvent que c'est un peu les prendre pour des caves. Vous savez les étapes procédurales qui perdent leur sens quand les intervenants ignorent ou ont oublié la raison d'être de celles-ci. Il y a comme des mots-clés qui me sont revenus comme muda, processus, cartographie, chaîne de valeur, lean, mais j'ai arrêté avant qu'ils me mettent sur un projet, je suis en vacances.


La blessure a été refermée en 50 minutes. Le chirurgien jugeait que c'était suffisamment propre. Certains s'inquiètent de l'effet cumulé de toutes ces anesthésies générales, mais le bourreau m'a rassuré que ces courtes périodes de rêve forcé n'ont aucun effet secondaire. Encore 7 à 10 jours alors et on posera les plaques, les vis et le plâtre. Une fixture amovible aurait été pratique, mais impossible ici, la rotation de l'avant-bras disqualifiant cette option. J'aurai donc un plâtre m'immobilisant du coude au poignet. Comme on part en voyage le 12 septembre, c'est Monia qui va traîner les bagages. B'en quoi, elle ne s'entraîne pas pour rien !


J'ai enfin mangé un repas complet à 17:00. J'ai redemandé de la nourriture en soirée. Je ne ressens pas de douleur, mais je ne refuserai pas les Tylenol king-size avant de dormir.


J'ai déjà relaté la gentillesse des gens d'ici. Ce matin, le technicien en radiologie qui a fait mes rayons X lundi est monté me voir. Je lui ai fait un bilan de mon état ne comprenant pas trop son rôle dans le processus. Il venait me voir sans aucun intérêt professionnel. Il voulait s'informer comment je me débrouillais avec le vélo et tout, surtout aussi loin de chez-nous. Il pensait que je sortais bientôt et il voulait aussi savoir si j'avais besoin d'un transport pour Régina. Du bon monde...


Dans vos nombreux commentaires, j'ai trouvé le mot courage. De toutes les vertus qui sont évoqués, c'est celle à laquelle j'ai le plus de difficulté à m'identifier a priori. C'est seulement à travers la définition de Irshad Manji, l'auteure de "Musulmane, mais libre", que je réussis à me l'approprier: Le courage, ce n'est pas l'absence de peur, c'est la reconnaissance qu'il y a quelque-chose de plus important que la peur. N'est-ce pas ?

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mardi 19 août 2008

Jour 66 + 1: Infirmière !

0 km. Cum: 9322 km.


Moose Jaw - Mieux vaut être dans la gueule de l'orignal (Moose) que dans la gueule du loup. Je n'avais jamais dormi dans un hôpital jusqu'à hier. Ce n'est jamais intéressant d'y être, mais ça permet de comprendre le rôle clé et souvent ingrat du personnel de terrain (préposés, infirmiers, technologues, etc). Si la splendeur cosmique peut nous subjuguer à 25 km/h sur un vélo, c'est le côté domestique de l'existence qui nous frappe lorsqu'on est couché dans une chambre d'hôpital. Les odeurs sont dans une toute autre gamme. On pèse sur le bouton et voici un verre d'eau, un oreiller, un mouchoir, un pipi, une couverte, une selle, assis, debout, couché, ouvre la lumière, ferme la lumière. Pression, température, changement d'huile, soluté, saturation, analgésique, antibiotique, chaise d'aisance, pansement, crevaison, on essuie tout ce qui coule et on coupe ce qui dépasse. C'est pourquoi la jaquette ouvre sur l'arrière, pour ne pas couper tout ce qui dépasse. Une chose est sûre, avec cette jaquette, on préfère avancer vent de gueule, car de l'autre côté, enfin, vous voyez le topo.


J'ai mieux compris ce qui m'a frappé hier. Les gens ici appellent ça un auger. Il s'agit d'une grosse vis sans fin pour le déplacement du grain dans un élévateur. Le pickup transportait ce truc qui dépassait sur la largeur et une lame de la vis en question m'a ramassé sur le côté de l'avant-bras gauche. Ça explique la plaie ouverte que l'asphalte seule n'aurait pu faire.


Hier, débridement de la plaie sous anesthésie générale. Aujourd'hui, on laisse mijoter. Demain, si c'est propre, on referme la plaie et on attend 7 à 10 jours s'assurant qu'il n'y a pas d'infection avant de procéder à la fixation des plaques et vis. Notre plus grand ennemi ici, c'est l'infection et l'orthopédiste qui me traite en est parano, ce qui me rassure. Avec les conseils éclairés (à distance) de ma physio adorée et toute l'équipe à sa traîne, je n'ai vraiment pas à m'inquiéter.


J'ai ouvert un dossier avec l'assurance-voyage. J'en ai profité pour régler la question du vélo avec l'aide de Sébastien de Chez Momo et la boutique locale qui va s'occuper de l'expédition. Cannondale est déjà en route. La Police Montée (moi aussi ça me fait rire...) est venu prendre ma déposition. J'ai réalisé que policiers et ambulanciers sont exposés de la même façon que les cyclistes lors d'une intervention sur l'accotement. Au lieu de me faire dire que je n'avais pas d'affaire là, j'ai plutôt rencontré quelqu'un qui risque sa vie à chaque billet d'infraction sur cette route maudite.


Je réitère sur le facteur No Fault qui résulte en conduite irresponsable au Canada. Je suis en accord avec le fait qu'on soient tous assurés automatiquement pour nos dommages corporels, mais il faut voir à l'effet pervers que ça a généré. Les conducteurs américains ont tous la chienne d'être ruiné par leur imprudence. Je vous jure que ça fait une satanée différence. Et puis, sur la qualité de nos routes, tout a été dit. Du calme, du calme, ça fait de la broue dans le soluté.


Je devrai m'habituer à un rythme plus lent, surtout lors de l'attente pour la plaie. C'est un arrêt assez brutal. J'imagine que je vais prendre le tour de tirer sur mon poteau de soluté sans m'emmêler dans mon tube comme un chien dans sa laisse. Sinon, je continue de sympathiser avec l'entourage. Madame Chose de Assiniboine au chevet de son mari veut mes coordonnées parce qu'elle veut apprendre de Monia comment faire son propre pain avec du levain maison.


Je ne peux passer sous silence tous vos bons mots d'encouragement. Vous m'avez fait pleurer. Je n'ai pas de mots pour décrire mon état d'esprit, mais soyez rassurés, c'est une joie intense. En attendant les quelques grimaces de douleur, j'ai un large sourire aux lèvres en pensant au fun noir qu'on a eu pendant 66 jours. Et de la même façon qu'on se laisse descendre après avoir gravi un long col, je vais longtemps voguer sur cette expérience collective inoubliable. Merci !


Quelque part entre Vénus et Mars.

Jour 66: Game over

95 km (+ 79). Cum: 9322 km.


Moose Jaw, SK - Un superbe matin ensoleillé, un vent SSO, une bonne nuit de repos, tout était en place pour une journée d'anthologie, probablement un beau 250 km jusqu'à Régina, sans aucun doute un 175 jusqu'à Moose Jaw. Parti à 7:45 après un copieux petit dej, j'ai rapidement pris un rythme des grands jours. À 11:30, après plus de 90 km, je suis déja à Chaplin où les mines de sel ressemblent à de hauts bancs de neige.


J'y ai fait une pause et je suis reparti à midi. L'accotement qui depuis Maple Creek était large de 4 à 6 pieds, devient un mince corridor d'à peine 1 pied. Je me dis que ça ne peux sûrement pas durer. Si ça persiste comme ça, je devrai sortir la carte et prendre une route alternative. Même pas 5 km de fait, bang! Me voilà projeté sur la route par la remorque d'un pickup qui transporte je ne sais quoi de bidules agricoles.


Tout se passe à une vitesse effarante comme il y a moins d'une semaine. Je suis en vie. Good. Mes jambes bougent. Good. Je ne me suis curieusement pas frappé la tête. Good. Oops, mon bras gauche est rendu avec deux coudes. En une fraction de seconde, je comprends la conséquence. Voyage terminé.


Quantité de personnes bourdonnent autour de moi. J'entends le chauffeur du pickup expliquer qu'il a dû serrer à droite après m'avoir doublé, car une voiture le dépassait. Un des automobilistes a une trousse de premiers soins et panse mon avant-bras du mieux qu'il peut, d'autres me soustraient au soleil, un autre s'occupe du 911. L'ambulance arrive de loin, peut-être 20 minutes plus tard, mais tout est long dans ces moments là. Ils m'ont immobilisé comme c'est normal de le faire, mais qu'est-ce que c'est long quand on a une nouvelle penture, ouverte en plus. Chantal et Debbie font de leur mieux. Enfin dans l'ambulance, ils m'annoncent s'être rendu compte que la climatisation est en panne. Il fait chaud en ta.. là-dedans, surtout avec le gréement qu'ils m'ont installé autour du cou pour m'immobiliser. Il me semble que j'étais proche de Moose Jaw, mais c'est sûrement la chaleur qui me fait croire que ça aurait été plus vite en vélo.


Le médecin de garde, le chirurgien et l'anesthésiste sont tous d'Afrique du Sud. C'est là que la Saskatchewan a trouvé sa source pour les professionnels de la santé. Ironiquement, ce sont tous des cyclistes. En se lavant les mains, le chirurgien m'explique qu'il s'agit d'une fracture ouverte du radius et du cubitus gauche et que je pourrais perdre l'usage de mes doigts, mais de ne pas m'inquiéter, ça devrait aller. J'aime ça la franchise, pour le tact on repassera.


Un certain Steve a apporté mon vélo qui semble encore en parfait état. Une belle carte de visite pour Cannondale. Vers six heures, on m'amène en salle d'opération, juste comme un policier arrivait pour compléter son rapport. Il devra repasser. Pour l'instant, on va nettoyer, drainer et me mettre un soutien rigide temporaire. Demain, on va peut-être répéter l'exercice de nettoyage, pour éventuellement poser des plaques, des vis et un plâtre. J'en ai pour trois jours ici, minimum.


Le réveil aux soins intensifs est un peu paniquant. C'est comme sortir d'un cauchemar ou se réveiller en altitude en train de pâmer. Je n'ai jamais été anesthésié, c'est une première pour moi. Je boirais une citerne. Après une heure, on me monte à ma chambre où je me lève debout pour la première fois en huit heures. Mes doigts bougent et mon bras n'est pas trop souffrant.


Malheureusement, mon odomètre s'arrête ici. Je trouve extrêmement dommage que ça se termine comme ça. J'aurais aimé finir ça sur l'asphalte maganée de la rue Shefford. Oui bien sûr je suis en vie et je pourrai continuer toutes mes activités une fois "réparé". Cependant, mon souvenir et toute l'inspiration que portait cette entreprise dans le sens de réaliser ses rêves et d'oser se commettre dans quelque chose d'audacieux sera à jamais terni par ce bête accident. Vent de déjà-vu.


50.3916,-105.5245

dimanche 17 août 2008

Jour 65: Go Habs Go !

139 km. Cum: 9227 km.


Swift Current, SK - J'allais fermer la télé et sortir de la chambre ce matin, mais ils ont annoncé que c'était la finale du 10000m après la pause. Je n'allais pas manquer ce duel entre Éthiopiens et Kenyans, surtout que Gebrselassie, le souriant recordman du marathon et roi du 10000m était du départ. Quel spectacle de voir des athlètes courir le km en 2m40s dix fois en ligne. Quand les Africains ont croisé la ligne d'arrivée, le Canadien était loin derrière dans un peloton de retardataires et ils leur restaient un autre tour à faire...


Je suis allé déjeuner au Maple Grove Inn. Hier en arrivant au village, Jason m'a indiqué toutes les bonnes places. Je ne me serais pas douté que je pouvais déjeuner à cet endroit. Comme il me l'a décrit, c'est une salle ordinaire, mais le service est empressé et la nourriture excellente. Les petits fruits de saison, hmmm. Je sens les regards curieux des locaux qui détectent rapidement l'étranger. Seule une dame autour du buffet n'a pas pu résister à me demander d'où je sortais.


À dix heures, je me mets en route. Mon pédalier est comme la manivelle d'un orgue de barbarie. Aussitôt que je tourne les pédales, il me vient une chanson en tête. Pour une première journée dans cette province, la chanson des Trois Accords me vient naturellement. «Saskatchewan, tu m'as pris ma femme...». On croirait que la route est planche dans ces grandes prairies, mais je suis dans une région de collines. Je commence dans les Cypress Hills et plus loin, il y a les Sand Hills. Ce ne sont pas des montagnes proprement dites, mais des ondulations constantes entre 750 et 825 m. Le vent NNE combiné à ma direction ENE fait en sorte que ce n'est pas un freeride, mais j'ai vu bien pire. Il n'y a pas un nuage et la chaleur sèche est confortable en autant de s'hydrater convenablement. Je n'ai plus la crainte des voitures que j'avais hier, je roule plus détendu, restant prudent comme d'habitude.


Plusieurs diraient qu'il n'y a rien à voir ici. Du foin, des silos, un chemin de fer, un troupeau de vaches de temps en temps. Il n'y a pas d'habitations à l'exception du village à chaque trentaine de km. Il faut essayer de voir au-delà et goûter la quantité d'espace, la grandeur du ciel, la pureté de l'horizon. La qualité de la route, qui permet dans le meilleur des cas de mieux apprécier l'environnement, est très variable. Sur une vingtaine de km, j'ai l'impression de rouler sur le macadam du Vieux-Québec. Cette route qui traverse notre pays au complet n'est vraiment pas à la hauteur de notre richesse collective. Ce n'est pas aussi pire que les routes en Afrique, mais l'Afrique va finir par faire mieux.


J'ai fait un arrêt à Tompkins et à 16:30, j'étais à Swift Current. J'ai trouvé un endroit alliant motel et restaurant. Une sympathique entreprise familiale au service impeccable et chaleureux. Je retrouve la simplicité aimable du Montana.


Ce matin, le propriétaire du motel portait un t-shirt du Canadien. Il affirme fièrement être un fan de la première heure. Il pense qu'on mérite la Coupe pour le centenaire de l'équipe. À Tompkins, je félicite un client de la station-service pour son tatouage au mollet: le CH avec le 19 de Larry Robinson. Il me pointe sa plaque d'immatriculation qui démontre qu'il est un vrai partisan. Lui aussi pense que 2008-09 est notre saison. Ça sent la Coupe. Vent de défilé.

50.2973, -107.8012

Jour 64: L'Alberta juste sur une roue.

155 km (+ 369). Cum: 9088 km.


Maple Creek, SK - Un déjeuner, un litre de Gatorade et deux Power-bars, me voilà déjà moins riche de 26$. À 8:45, je quitte Banff sous un soleil radieux. Je suis un peu fébrile regardant à l'arrière plus souvent qu'à l'habitude. Mon miroir de casque est resté dans le fossé lors de l'accident et aucune boutique de vélo locale n'avait ce type de miroir en stock. Soit dit en passant, les boutiques de vélo de Banff sont vraiment nulles. On ne cherche qu'à louer des vélos et vendre du prêt à porter aux touristes. Je me suis résigné à installer un miroir de guidon. C'est de la camelote et ça ne garde pas sa position.


Sur la grand-route, j'essaie de me raisonner. Lors de l'accident, j'ai vu le camion de près dans mon miroir et je n'ai rien pu faire. Je suis aussi prudent là que lors des 9000 premiers km, alors je devrais continuer comme avant. Ce genre de crainte est normale et m'occupe l'esprit pour une bonne partie de la route jusqu'à ce que l'histoire que mon frère évoque dans un commentaire me remémore une autre plonge d'enfance dans la rue de la Gare. On coursait, j'ai perdu le contrôle et j'ai fini à plat ventre en pleurs dans une flaque d'eau. Mon frère qui avait déjà les réflexes paramédicaux: - "Où est-ce que t'as mal ?". - "À nulle part ! Chu tout sale !". Cette histoire ridicule m'a fait rire et a chassé un peu de cette petite paranoïa qui fait de chaque voiture un prédateur sur quatre roues.


Je me suis éventuellement rendu compte que les montagnes avaient disparues et que j'étais de retour dans la prairie. Avant d'entrer dans l'agglomération de Calgary, je peux voir le drapeau olympique qui flotte au site des jeux de 1988. Je fais une première pause en face de ces rampes de lancement de sauts à ski avec 120 km au compteur.


Je traverse ensuite Calgary dans sa partie nord au milieu d'une circulation lourde. Ce n'est jamais évident autour de ces grandes villes et ici, un guide serait très utile. Il y a sûrement de l'argent à faire avec un topo-guide de la traversée du Canada. Je réussis à m'extirper de ces grands boulevards étriqués, de la construction, des bouts frénétiques de Transcanadienne et de voies alternatives pour trouver la tranquillité dans Chestermere au bord d'un lac où plusieurs plaisanciers profitent de ce samedi. Je retrouve plus loin la Transcanadienne et son accotement. À 20 km de ma destination (Strathmore), une crevaison... ...en fait deux crevaisons.


Je devine la première crevaison par la conduite zigzagante de mon pneu arrière mou. Je n'arrête pas immédiatement, la tête penchée, j'essaie de voir si le pneu s'aplatit sous mon poids et là je roule sur ce qui devait être un débris coupant bien effilé à la mauvaise place au mauvais moment. Plus de doute, là, le pneu est plat. Je couche le vélo dans l'herbe, démonte la roue, trouve la cause de la première, un genre de petite broche pointue et constate le dégât de la deuxième: une fente bord en bord d'un bon centimètre en plein centre de la surface de roulement. Leçon importante: Quand tu doutes que tu as une crevaison, freine immédiatement. Le pneu mou est encore plus vulnérable.


À Banff, j'avais considéré profiter de l'arrêt pour changer mes pneus. Ils étaient dus: Plus de 4000 km à l'arrière et près de 8000 à l'avant. Comme aucune boutique n'avait ma taille de pneu en inventaire, je me suis dit que j'attendrais à Calgary ou Medecine Hat. C'est l'heure du duct-tape. Je suis cependant très sceptique que ça tiendra la route longtemps, mais 20 km en roulant debout en priant pour qu'il y ait une boutique de vélo à Strathmore, ça devrait aller. Je perce le premier tube en rejantant. Je perce le deuxième et réalise que mes leviers de pneus commencent à être rognés en me piquant dessus. Merde ! Je sors mon coupe-ongle et utilise la lime à ongles intégrée pour aplanir la partie coupante...


J'étais en train de perdre mon calme assis dans l'herbe essayant de rejanter sans utiliser les leviers quand j'entends quelqu'un qui marche vers moi me demandant si j'ai besoin d'aide. Je lui explique l'affaire et en cinq secondes on en vient à bout. Suffisait que j'aie quelqu'un pour tenir la roue. En voyant mon pneu, Jason n'est pas très optimiste et j'avoue que moi non plus. Il me confirme que Strathmore est dépourvu de boutique de vélo, mais il peut m'y déposer si je veux. Il revient de Calgary où son vol vers l'Ontario a été annulé. Il retourne chez lui à Maple Creek, peut embarquer mon vélo et me déposer où je veux en direction Est. C'est samedi soir, passé cinq heures, Jason est pharmacien, mais aussi associé dans une boutique de vélo à Maple Creek. C'est loin, mais il a des pneus, Kevin le mécano va rentrer à l'atelier s'il l'appelle, sa femme travaille de toute façon et puis tu serais prêt à repartir demain. C'est comme je veux. Ça veut dire que le reste de l'Alberta sera derrière, Maple Creek étant tout juste à l'intérieur de la frontière de la Saskatchewan.


Je n'ai pas pensé longtemps. Mon pneu est un désastre. Nous avons embarqué le vélo dans sa fourgonnette derrière son propre vélo prêt à voler dans sa boîte, car il veut faire un triathlon en Ontario. Nous avons passé Strathmore et je me suis dit que je me mordrais les doigts d'être pris un dimanche au milieu de la prairie avec un pneu éventré alors que j'ai eu la chance d'avoir un propriétaire de boutique de vélo assez malchanceux pour manquer son vol, assez aimable pour me porter secours et assez généreux pour m'ouvrir les portes de sa boutique un samedi soir. S'il faut juste rayer trois cent quelques km de mon itinéraire pour saisir cette chance, j'accepte son offre d'aller à Maple Creek.


300 km à jaser de nos vies respectives, apprécier le coucher de soleil et le lever de la pleine lune. Nous avons ramassé notre souper chez Wendy's et nous sommes arrivés à la boutique (Cypress Cycle http://www.cypresscycle.com ) vers 21:00. Kevin et son fils de neuf ans Quinlan était déjà là. Kevin m'a expliqué comment rejanter un pneu sans leviers, a changé mes deux pneus et resserré mon headset qui avait un peu de jeu. Jason a décidé de ne pas emporter son vélo en Ontario (car il retourne à l'aéroport de Calgary demain, sa famille l'attend pour débuter les vacances à London) et le remonte pendant que Kevin règle mon cas. Jason m'a trouvé une chambre de motel, car j'ai refusé de dormir chez-lui trouvant qu'il en avait déjà assez fait. Kevin et Quinlan m'ont escorté à la noirceur jusqu'au motel.


Les journées commencent et on ne peut jamais savoir comment elles vont finir. Je commence à croire que l'Alberta ne veut pas de moi. 155 km, c'est tout ce que j'ai réussi à y rouler. Soit, ces derniers jours mes infortunes ont pris des tournants favorables qui défient toutes les lois de probabilité. C'est comme si un ange faisait un pied de nez à ma mécréance. Vent de chance.


49.9088, -109.4796

vendredi 15 août 2008

Jour 63: Monsieur Bricole

0 km. Cum: 8933 km.


Banff, AB - Je me suis levé un peu grognon. Dans le premier tiers du voyage, ça me prenait quelques secondes au réveil pour réaliser que j'étais en train de faire cette expédition. Ensuite, c'est devenu la normalité et je n'étais plus surpris de me réveiller à côté de mon vélo à chaque matin. Ce matin, ça a pris quelques secondes pour réaliser que j'avais failli crever la veille, qu'un paquet de clopes échappé m'avait envoyé dans le décor, que je devrai raconter cette maudite intermède chaque fois que je raconterai ce voyage "Ouain, j'ai fait Lake Louise en camion" et que je dois solutionner mon problème de porte-bagages éventré avant ce soir si je veux repartir demain.


Ça ne sert à rien de grogner, c'est passé et il faut vivre avec. Ce qui ne nous tue pas nous rend meilleur. Je n'ai pas plus mal qu'hier et rien ne s'est infecté, c'est déjà ça de gagné. J'ai commencé par trouver à déjeuner. Je plains les pauvres ici... De retour à la chambre, j'ai mis à contribution la colle Epoxy pour recoller la fixture de plastique qui forme l'armature du sac. J'ai laissé sécher ça, j'ai suivi les conseils de ma mère et je suis allé au Mont Sulphur via le billet de bus gratuit (!) fourni par l'hôtel.


Ce sont les sources chaudes de cette montagne, découvertes au 19e siècle, qui sont à l'origine de la création du parc national. Comme c'est de la glace qu'il faut que je m'applique aux fesses, je ne visais pas les bains, mais plutôt la gondole qui mène au sommet. J'ai toujours les mains moites dans ces trucs, je suis plutôt du genre à monter à pied. La vue est vraiment splendide sur la ville, la rivière et les montagnes environnantes. J'ai l'impression de faire une connexion spéciale avec ma mère qui a fait la même visite il y a une couple d'années. J'aurais aimé voir plus d'animaux sauvages, mais seuls un tamia et une marmotte se sont montré le museau. Il n'est pas rare d'y voir mouflons et chèvres des montagnes. La redescente est encore plus moite aux mains, comme j'ai la mauvaise habitude de regarder les câbles d'acier et le mécanisme. Parfaitement synchronisé avec l'autobus rendu en bas, je reviens au centre-ville.


Je passe à la quincaillerie, ayant réfléchi distraitement dans les hauteurs à la réparation de mon sac. C'est un sac en nylon et il s'est rompu sur presque toutes les coutures, en particulier au niveau de la fermeture-éclair principale. C'est bien beau le duct-tape, mais comme je n'ai pas affaire à un coffre de voiture mais plutôt à du tissu sans structure, il faudra quelque chose de plus adapté. Dans la section de l'équipement de camping, je tombe sur un nécessaire pour réparation de tente qui inclut une belle bobine de fil de nylon et une longue aiguille. Plus loin, de grandes rustines de nylon autocollantes, du velcro, des ciseaux et l'incontournable duct-tape. Je vais faire de la couture. Là, j'espère avoir une autre connexion avec ma mère, souhaitant qu'elle m'ait transmis un soupçon de ses talents de couturière...


Je me suis ramassé un grand café latte, je suis monté à ma chambre, ouvert la télé à la SRC aux épreuves d'athlétisme et j'ai passé cinq heures à soigneusement recoudre mon sac. Comme Kyle qui jubilait après sa crevaison réparée, mon sourire s'est agrandi à mesure que j'ai réalisé que ma réparation allait tenir la route. Une fois le sac bien cousu, j'ai recouvert les coutures avec les rustines de nylon et j'ai ajouté un peu de duct-tape pour la forme. Le velcro remplacera les élastiques stabilisateurs qui ont sauté dans l'accident. Je suis pas mal fier de ma job, réalisant qu'au lieu de le réparer, je l'aurais sûrement maudit à la poubelle si j'avais été à la maison...


En voulant retourner me promener en musique, j'ai découvert que mon iPod n'avait pas survécu à la chute. Je vais devoir continuer à chanter tout croche sans accompagnement. Sans musique dans les oreilles, force est de constater que les francophones envahissent Banff. J'ai même commandé mon Subway en français.


Je suis fin prêt à reprendre la route avec un sac plein de cicatrices, un maillot maculé de tâches tenaces de gazon que Tide n'a pas réussi à nettoyer et un sombre souvenir du col de Kicking Horse qui sera désormais pour moi le col du Kicking Truck. On the road again. Vent de recommencement.


51.1801, -115.5702

jeudi 14 août 2008

Jour 62: Prendre une "ride"

42 km (+ 98). Cum: 8933 km.


Banff, AB - Après ma plus longue journée en kilométrage, je suis bien tombé pour mon souper d'hier soir. Un plat à base de quinoa, c'est très rare qu'on trouve ça au restaurant, surtout avec un steak de thon grillé convenablement. C'était dans la catégorie "faisons-nous plaisir".


Ce matin, levé à sept heures, je règle d'abord le cas de l'hébergement en me résignant à réserver à Banff, Canmore ne représentant pas de réelle économie. C'est cher, en saison touristique, mais il faut bien que je dorme quelque part. Je réalise depuis Victoria que tout est plus cher au Canada. Le Gatorade est le double du prix et pour le prix d'un motel de bord de chemin ici, on peut trouver une très bonne chambre dans un hôtel d'une chaîne reconnue aux USA. Nos filets sociaux et notre système de taxation se répercutent dans les prix. Il faut juste espérer que tout cet argent est utilisé à bon escient. Difficile d'écrire ça sans rire. Disons qu'il y a encore beaucoup d'imperfections dans le système.


Je suis parti à neuf heures quinze après un bon déjeuner. Il n'y a pas de presse. Le plan est simple. Je vais grimper le col du Kicking Horse sur 70 km pour me retrouver à Lake Louise en Alberta. De là, je longerai les glaciers jusqu'à Banff. Rapidement, je me retrouve à 1000m après quelques belles pentes à 6% dès la sortie de Golden. Je suis aussi lent qu'hier, le panorama me forçant à des arrêts contemplatifs. La route reste autour de 1000m pour plusieurs km, quelques petites bosses à grimper qui redescendent rapidement.


Au 42e km, comme on dit en bon québécois, je prends une maudite ride. Bien au centre du large accotement, j'aperçois dans mon miroir un camion-remorque comme j'en ai vu des milliers depuis mon départ, c'est juste que celui-ci est bougrement prooooooche ! Le chauffeur du poids-lourd cherchant son paquet de cigarettes à ses pieds a réalisé un peu tard que son véhicule dérivait sur la droite et quand il m'a vu à la dernière seconde, il a donné un coup de roue réussissant à remettre le tracteur sur le droit chemin, mais c'est la remorque qui m'a frappé la fesse gauche pour m'expédier illico dans le fossé...


J'ai eu le temps de penser que mon heure était arrivée. J'ai fait un over-the-bar, ne me suis pas cogné la tête, n'ai pas perdu conscience, mais le choc m'a gardé au tapis quelques minutes. Mon premier réflexe après avoir compris que le film de ma vie n'allait pas défiler devant mes yeux, ce fut de faire bouger mes jambes. Un couple (Rudy & Judy) est accouru rapidement. Me couvrir, m'abreuver, me parler, essayer d'appeler le 911 (sans succès), rapailler mes affaires, ils ont tout fait. Dave, le camionneur pensait qu'il m'avait tué, il était sous le choc, faisant aussi son possible pour me remettre sur pied.


Étourdi et sur le bord du chemin à 4000 km de chez-nous, mon prochain réflexe est de m'assurer de n'avoir rien perdu. Je vois passer Rudy avec des Ziplocs, des câbles, ma carte SD qui contient des centaines de photos. La sacoche sur le beamrack a partiellement absorbé le choc et le compartiment principal en est complètement déchiré, l'armature interne cassée, ce qui explique que mes trucs ont volé aux quatre vents. On a tout retrouvé. Le rack et le vélo sont intacts et en état de marche.


Après quelques essais, j'ai réussi à me lever debout, constatant outre les éraflures, une douleur en haut de la fesse gauche. Judy constata aussi que j'avais les fesses à l'air, l'arrière de mon cuissard n'ayant pas résisté à la cascade. Dave a installé Cannondale derrière le camion et j'ai pris place sur le siège du passager un peu éberlué de ce qui venait d'arriver. Tout se bouscule si vite.


Nous sommes partis vers l'est, Dave se perdant en excuse et m'expliquant comment il a vu (ou pas vu) tout ça. La réaction de rage et de rancune est une évidence quand nous imaginons que ça nous arrive, mais 15 minutes après avoir frôlé la mort (suffisait d'une mise en portefeuille ou quelques secondes de plus), on n'est pas du tout dans ce mode. On sympathise avec le chauffeur qui avoue son inattention et on le remercie de s'être arrêté. C'est dans de drôles de circonstances qu'on s'est rencontré, mais Dave est finalement un gars à connaître. J'aurais aimé enregistrer la conversation éclairée qu'on a eue. Personne n'aurait pu deviner qu'il s'agissait d'un dialogue entre un camionneur et un gars qui vient de passer à un cheveu de crever. Il m'a conduit à mon hôtel, m'a offert de l'argent et m'a donné ses coordonnées que je pourrai utiliser, selon ses termes, si jamais je veux le poursuivre et le mettre à la rue. J'ai fini par accepter une de ses chemises propres pour pouvoir me couvrir le derrière avant d'entrer dans l'hôtel. Je me fichais pas mal de montrer mes fesses rendu là...


Après une douche, j'ai visité une clinique médicale. Le docteur Macdonald prescrit de la glace, du Polysporin, de l'ibuprofen et un billet de loterie parce que j'ai de la chance en batince d'être encore debout. J'ai une contusion assez laide sur le derrière et une douleur quand je me lève d'une chaise, c'est tout. J'ai acheté un nouveau cuissard et je prends une journée de repos demain. J'ai parlé à ma douce, à ma mère, je l'écris et je vais probablement en rêver, ça fait partie de l'incident et de la "guérison".


Une déception, quoique bien pâle lorsque mise dans son contexte, c'est d'avoir traversé le Continental Divide et le Columbia Icefields dans un camion au lieu de sur ma bécane. Ce devait être le summum de ce voyage. Mon plus gros casse-tête pour continuer, c'est la destruction de ma sacoche. Son remplacement est introuvable ici et à Calgary; peut-être sur commande, mais ça arriverait dans quatre jours; je vais devoir innover pour transporter mon stock. Je vais dormir la-dessus. Vent de miracle.


51.1801, -115.5702

Jour 61: Ne tuons pas la beauté du monde

220 km. Cum: 8891 km.


Golden, BC - Déjeuner dans un truck-stop, c'est une valeur sûre. C'est copieux, classique et il y a aussi que tu peux manger pour trois et la serveuse ne bronchera pas. J'étais en selle à sept heures moins quart, le ventre plein dans la fraîcheur matinale. Les montagnes cachent fréquemment le soleil, mais il serait abusif de sortir le jacket juste pour les sections ombragées. Depuis Kamloops, je longe la voie-ferrée ce qui garantie une certaine douceur de la pente. Aujourd'hui, la journée se divise en trois: 70 km de réchauffement jusqu'à Revelstoke, 70 km de grimpe du col de Rogers et 80 km pour redescendre à Golden. Comme je n'ai pas de détail du relief, j'imagine que c'est planche jusqu'à Revelstoke, que ça monte égal jusqu'au col et que ça descend doucement jusqu'à Golden. On en imagine des affaires...


Jusqu'à Revelstoke, c'est planche en moyenne. Je gagne 150 mètres, mais au prix de 300, compte tenu de toutes les ondulations. Un petit vent contraire pour ne pas mettre ça trop facile et à 10:15, je suis à la rivière Columbia qui mouille Revelstoke. Une pause sandwich & V8, une p'tite jasette avec un Hollandais qui a fait le tour de l'Espagne en bécane et hop, on attaque le col de Rogers.


Le col est hésitant. Ça ne monte jamais longtemps, il y a toujours un replat et souvent une redescente partielle de l'altitude gagnée. Je préfère quand ça monte une fois pour toutes. Là, je ne sais plus sur quel braquet danser. C'est un bien mince désagrément, car le paysage est époustouflant. Déjà, avant de quitter Revelstoke, j'avais commencé à mitrailler les montagnes avec ma caméra. En montant le col, j'ai pénétré dans le Parc National des Glaciers. J'ai éliminé les pauses automatiques aux 100 mètres, car j'étais constamment à l'arrêt pour photographier. Ironiquement, j'ai aperçu le Rocky Mountaineer, ce train de passager panoramique qui fait à peu près ma route, mais pas à la même vitesse. Moi, je peux arrêter quand je veux pour photographier, pas eux.


On dit que la beauté est dans les yeux de celui qui regarde. C'est effectivement subjectif dans bien des cas comme un beau Hummer, une belle vache, une belle pelouse. Comme dirait Jean-Louis, on ne voit pas la même chose, mais il y a cette beauté absolue et universelle, agnostique à tous les yeux. Un monolithe de roche plus ou moins effilé, coiffé de neige et de glace; une étendue d'eau qui miroite; de l'eau qui tombe de haut; des forêts intactes. Des choses simples mais grandioses à la fois, fruits de millions d'années de transformation. Ici, c'est au cube. Ça en est étourdissant, ça donne des frissons. On perçoit bien ici ce que Daniel Bélanger chante si bien: "La fin de l'homme ne sera pas la fin du monde".


Le sommet du col est à 1330 mètres et un peu plus loin, une station-service et un dépanneur où tout est hors de prix. Après avoir appelé ma douce, j'avance l'heure à 15:45 et m'engage dans la descente. Ces belles montagnes en roue libre me font penser à la question nationale. Je ne comprends pas pourquoi le Parti Québécois ne synchronise pas les référendums le 24 juin. Le 24, un bon spectacle, une couple de discours enflammés et beaucoup d'indécis sont prêts à voter oui jusqu'au lendemain. En revanche, si Jean Chrétien avait utilisé l'argent des commandites pour payer un voyage ici à tous les souverainistes mous, ceux-ci n'auraient plus jamais voulu quitter le Canada.


Après avoir atteint 800 mètres, la route s'aplanit pour quelques kilomètres et recommence à monter. Je commence alors à comprendre que mon attente m'a trompé et le relief peut encore me réserver n'importe quoi entre ici et Golden. Je fais l'inventaire de mes victuailles, utilise mon obsession des chiffres ronds pour me rationner aux 10 km et je chante du Beatles à pleine tête, entre autres: Glass Onion et Happiness is a Warm Gun en faussant autant que Yoko Ono. Ça monte jusqu'à 1100 mètres pour finir par redescendre par ondulations jusqu'à Golden situé à 750 mètres.


19:45, Mountain Time, Golden, BC. Une journée inoubliable où j'aurais aimé que vous m'accompagniez tous en un gros peloton pour qu'on voit tous la même chose, les photos ne pouvant rendre justice à ce paysage. J'en connais au moins une qui aurait été capable de me suivre. Vent de splendeur.


51.3014, -116.9699

mardi 12 août 2008

Jour 60: Taxi !

142 km. Cum: 8671 km.


Sicamous, BC - Faut le faire. Je roule plus de 200 km dans une journée ponctuée de deux ascensions terribles et je prends un taxi pour aller au restaurant ! J'avais choisi mon motel au bureau touristique ne réalisant pas combien Kamloops est pentue. Rendu au motel en question, complètement en bas de la ville, je me suis bien rendu compte qu'il n'y avait aucun service autour à part un restaurant voisin du motel. Je ne remonte cette pente sous aucun prétexte, je vais me contenter de ça. Une fois douché, je me rive le nez sur la porte du resto fermé exceptionnellement le 11 août (!). Je ne remonte pas sur le vélo ce soir (surtout pour monter) et je ne ferai pas 4 ou 5 km aller-retour à pied, affamé, surtout qu'il est sept heures dépassé. J'ai alors appelé un taxi pour me faire monter chez East Side Mario's. C'est aussi paradoxal que Monia qui trouve toujours que je me stationne loin quand on va magasiner et quand on revient elle me demande si je veux aller prendre une marche...


J'ai roulé 2 km vers l'est ce matin où j'ai trouvé Tim Horton's pour déjeuner pour ensuite partir sur la Transcanadienne vers huit heures moins quart le soleil dans la gueule. La route est planche et le vent est contraire à la prévision du canal météo, c'est à dire dans la gueule. La route suit la voie ferrée et la rivière Thompson qui s'élargit en amont en le lac Shuswap. Les montagnes sablonneuses prennent de l'ampleur et s'habillent de plus de conifères à mesure qu'on s'enfonce vers l'est. Miracle électronique, la micro-carte du GPS est revenue à la vie et je peux de nouveau naviguer aux instruments.


Je roule une vingtaine de km avec Alex de Toronto qui retourne chez lui après avoir acheté un vélo à Vancouver. Il en est au 4e jour et roule bien, malgré son chargement. De Hope, il a choisi de passer par la vallée de la Fraser (le détour que je craignais de faire) et n'en revient pas de ma journée d'hier. L'accotement se rétrécit, on se remet en file et on se distance après quelques pentes. Ayant pris les devants, je m'arrête à Sorrento pour une courte pause-sandwich me disant que je rattraperai bien Alex plus tard. Je ne l'ai jamais revu, tellement il roule bien. Peut-être le verrai-je demain dans le col de Rogers.


Quand je ressors du dépanneur avec mon sandwich, trois motocyclistes que j'appellerais plutôt des motards observent ma bécane. Seule la fille du groupe semble dotée de la parole et elle me questionne candidement, trouvant déjà extraordinaire (!) mon 70 km de ce matin sur le planche. Elle m'a demandé si je levais le doigt aux voitures qui me klaxonnent. Je ne fais pas de gestes dont je ne suis pas prêt à assumer les conséquences. J'avais hâte qu'ils partent. Ça me donnait l'impression que le mâle alpha n'aimait pas trop qu'on parle à sa blonde. Ils sont repartis dans une pétarade effrayante.


Un long crochet vers le sud et quelques petites pentes bénignes pour contourner le lac mènent à Salmon Arm où il y a un festival de blues en fin de semaine pour les intéressés. Belle petite ville, j'y fais la pause sandwich à la crème-glacée. Toute une redécouverte qui goûte exactement comme quand j'étais jeune contrairement à beaucoup de friandises comme les cigarettes Popeye. Est-ce la recette qui a changé ou nos papilles qui ont évolué ?


Vingt autres km m'amènent à Sicamous. Pas grand-chose ici, mais c'est un bon camp de base pour le col de Rogers qui va me faire avancer l'heure et me rapprocher de l'Alberta. Faudra partir tôt. Vent d'aube.


50.8447, -118.9544

Jour 59: Festival de grimpe

209 km. Cum: 8529 km.


Kamloops, BC- J'ai quitté Hope, la capitale mondiale de la sculpture à la scie à chaîne, vers sept heures. 15 degrés avec quelques nuages qui s'accrochent aux montagnes. La mise en jambes est brutale avec un gain de 200 mètres dans le premier 5 km. Ensuite, la pente se civilise, mais ne prend aucun répit. Je reprends alors la routine des Rocheuses avec une pause à tous les gains de 100m. Je remonte la rivière Coquihalla qui donne son nom à la route 5. À mesure que je grimpe, le canyon se resserre. À quelques endroits, la route est en zone d'avalanche. Les nuages persistent à coiffer les montagnes, mais je peux quand même apprécier quelques parois rocheuses impressionnantes. Au deux tiers de la montée, un tunnel artificiel a été aménagé, probablement la solution aux nombreuses fois où la route a dû être ensevelie sous la neige qui se détachait de la paroi. Au 45e km, c'est le sommet de ce premier col à 1244 m. Ça m'a pris trois heures.


Juste après le sommet, avant le poste de péage, il y a une halte routière minimale. Tellement minimale que l'eau est non-potable. J'y arrêtais pour remplir ma bouteille. Comme je m'apprête à repartir, une femme s'intéresse à mon itinéraire. Je lui explique mon affaire et elle me répond qu'à Salmon Arm (100 km à l'est de Kamloops) il y a un festival de blues le weekend prochain. J'ai beau aimer le blues, c'est aussi pertinent pour moi que le festival du cochon graissé de Ste-Perpétue, puisque le weekend prochain, je serai sans aucun doute en Alberta à quelques centaines de km de Salmon Arm. Elle cherche peut-être désespérément un rancard pour le weekend.


Pas de péage pour les cyclistes, la côte étant le prix à payer. 30 km de pente douce passent joyeusement à la moulinette sur le braquet 53x12. Les nuages sont restés accrochés au sud du col, c'est alors sous un ciel complètement dégagé que ma route se poursuit en ondulant entre 900 et 1100m. À l'approche de Merritt après plus de 110km, alors que j'amorce la descente finale, une crevaison efface mon sourire. Toujours la même chose quand on roule sur l'accotement, c'est un fil de métal provenant d'un débris de pneu.


Le pneu regonflé, je m'élance vers Merritt, la capitale canadienne de la musique country. Je n'invente pas ces trucs, c'est écrit sur le panneau de bienvenue de la ville. Je prends la première sortie et j'aurais dû prendre la deuxième pour les services. Ça se traduit par un détour de 5 km. C'est le genre de chose que la carte évanouie du GPS m'évitait. Merritt est situé dans une cuve à 600 m. Quand je repars à 1:45, vous devinez que ce n'est pas en descendant. Ça monte et ça monte. Le terrain est plus sec, la forêt moins dense. J'ai l'impression de rouler sur un plateau. Comme je n'ai plus les détails précieux des cartes de l'ACA qui n'existent pas pour la traversée du Canada, je grimpe ne sachant pas où ça va culminer. Le sommet se trouve au delà de 8 pauses à 1444 m. On anticipe toujours la descente, mais ici, elle se fait attendre. Il y a trois ou quatre faux sommets, ensuite la route ondoie constamment entre 1200 et 1300m.


À 25 km de Kamloops, j'aperçois le meilleur indice d'une descente significative, la zone de vérification des freins pour les camions. Ça descend en deux paliers qui mènent à l'entrée de la capitale canadienne des tournois. Il y a un troisième palier et c'est la ville elle-même qui est bâtie dans une longue pente, le plancher se trouvant à 350 m au bord de la rivière Thompson.


En ascension cumulée, 2600m, cette journée déclasse le jour 31 au Colorado lors du passage du col de Hoosier. J'ai travaillé fort, mais j'ai beaucoup aimé ma journée, les pentes se travaillant tellement mieux que le vent. Demain, je bifurque vers l'est en direction de Revelstoke sur la Transcanadienne. Ça risque d'être le festival du camion-remorque. Vent de turbulence.


50.6723, -120.3084