jeudi 31 juillet 2008

Jour 48: Trois soeurs à l'horizon

174 km. Cum: 7061 km.


Prineville, OR - Après le petit déjeuner à la chambre, je me lance en piste à six heures et quart habillé jusqu'au cou dans un glacial 6 degrés. Je ne pensais pas qu'il ferait si froid à 800 m d'altitude, mais bienvenue dans le désert. Je pars tôt pour déjouer la chaleur, mais j'avoue que ce matin, c'est un peu limite, surtout que ça descend de 200 mètres pour le premier 40 km, ce qui ajoute un facteur vent. Ça réchauffe vite, déjà à Dayville où je complète mon déjeuner avec un judicieux café, je peux retirer mon jacket.


Dans la montée du premier col de la journée, je traverse le John Day Picture Gorge National Monument. Il s'agit d'un site assez unique formé sur des millions d'années par l'effet cumulé de coulées de lave et la sédimentation des cendres. L'érosion par l'eau a creusé une gorge, le génie civil y a tracé une route. C'est splendide. Les sédiments prennent des couleurs différentes dévoilant le calendrier des éruptions à l'expert averti. Ça ne dure que trois milles, mais ce sont trois milles intenses.


Je retire tout ce qui m'habille de trop avant le millième mètre. Je m'impose la pause automatique à chaque gain de 100m. J'en fais une de plus pour discuter brièvement avec un promeneur qui trouve que l'Est de l'Orégon est négligé par les touristes. C'est vrai que c'est un secret bien gardé. Le sommet de Keyes Creek Pass à 1300m ne dévoile que plus de désert de l'autre côté. Les 10 km qui mènent à Mitchell, le seul point de service avant longtemps, sont vertigineux. Il ne faut pas manquer le croche en bas de la côte. Trois jeunes motocyclistes font la pause devant le magasin général. J'ai déjà roulé 20 milles de plus qu'eux aujourd'hui. Les gars, si vous mettez de l'essence dans le réservoir, ça avance tout seul ces bolides là...


Dans une cuve à 800m d'altitude, ce village est une vraie fournaise. 105 F au thermomètre. Vers 12:30, après avoir essayé sans succès d'appeler ma blonde pour lui faire une surprise, je repars pour le deuxième col qui culmine à 1400m. D'abord, ça descend à 700m, ce qui donne 700m de grimpe sur 15 km dans une chaleur torride. Les pauses automatiques aux 100m se sont transformées en pauses aux 50m dans les derniers lacets. Ça n'a pas refroidi pour la peine en altitude, malgré que l'atmosphère se soit faite plus forestière. Le sommet de Ochoco Pass est plat, boisé et ne dévoile rien, sauf la promesse d'une descente rafraîchissante.


50 autres km avec un vent d'ouest, ça ressemble pas mal à hier, à l'exception que je sens que le désert tire à sa fin. Un peu plus d'agriculture, un peu plus de feuillus et plus loin, un lac créé par une digue met un peu plus de bleu dans le paysage. Au loin, juste avant d'arriver, j'aperçois le bout de la tête des trois sœurs. Cette fois, ce ne sont pas Monia, Nancy et Isabelle, mais bien les montagnes Three Sisters, un trio de la chaîne des Cascades, le dernier rempart qui me sépare du Pacifique. Vent d'océan.


44.3037, -120.8256

Jour 47: Mordre la poussière

145 km. Cum: 6887 km.


Mount Vernon, OR - Je suis impressionné combien les motels sont bien tenus dans l'ouest. Peut-être aussi que je tombe bien, mais je suis sur une lancée de très bons endroits. Parfois c'est vieux, mais c'est toujours propre, il y a un frigo et un four à micro-ondes la plupart du temps pour moins de 50 $. J'en faisais la remarque à la gérante ce matin. Du coq à l'âne, elle m'a expliqué comment elle avait atterri ici. Elle avait visité un oncle quand elle était jeune et elle a passé sa vie à vouloir revoir son souvenir le plus durable: les montagnes derrière la ville (les monts Pocahontas). Un jour, elle a réussi à convaincre son mari de venir en vacances, il s'est trouvé un emploi sans le chercher et ils ont élu domicile. Pour ces histoires là, je prends un deuxième café, quitte à bouffer trente minutes de plus de vent dans l'après-midi.


Hier soir, j'ai soupé au restaurant avec Kyle au Barley Brown's Pub. Le meilleur repas depuis que je suis parti. Un bon plat de pâtes, une bonne bière noire locale et le pichet d'eau obligatoire. Kyle me rassure en me disant que pour lui aussi, l'alcool a un effet double dans ce voyage. Lui qui sort du collège, c'est une bonne référence. Ce fut très intéressant de partager nos impressions de voyage, alors que nous ne sommes pas du tout au même point dans la vie. Il cherche un endroit pour ses études de second cycle, avec des critères centrés sur sa passion pour le surfing, l'attrait de la ville et des gens. Missoula l'a beaucoup allumé. À son âge, j'avais des réflexes plus carriéristes et pragmatiques, mais son approche est peut-être gagnante. Quand on est joyeux, on génère nos chances plus facilement.


Je quitte Baker City à huit heures moins quart, le coeur léger. Dès le départ le désert recule, la rivière Powder agissant comme une corne d'abondance sur la végétation. Je grimpe de 500 mètres sur 50 km dans la fraîcheur matinale. Il fait soleil, aucun nuage, mais le gain d'altitude semble compenser pour un confortable 20 degrés. Plus je monte, plus la forêt de pins reprend ses droits.


À mi-côte, à 1200m, on annonce des travaux pour 33 milles. On scelle le gravier (chip sealing). Pas vraiment une bonne nouvelle pour Cannondale. J'ai hâte de jaser de ça avec mon beau-père, mais je trouve leur technique d'asphaltage plutôt compliquée. La chaussée est d'abord scarifiée sommairement; on répand grossièrement du gravier zéro-un-quart qu'on semble laisser se faire araser par les voitures; on goudronne, on recouvre de gravier; on compresse et on regoudronne. Pour la plupart des 33 milles, c'est à l'étape du zéro-un-quart. J'appelle ça du matériel à crevaison. En plus, mes pneus gonflés à 110 lbs font ricocher les cailloux dans ma chaîne et sur mon cadre. Et puis quand le signaleur laisse passer une filée de voiture, je me fais poivrer sans merci sur les jarrets, sans compter toute la poussière que ça soulève. Ce soir, j'aurai du sable entre les dents, c'est sûr.


Entre deux défilés de poussière, j'ai eu la chance d'observer un aigle perché sur son nid et entendre les aiglons quémander de la nourriture. Je suis sorti de la zone de construction sans avoir crevé en remontant le deuxième col. Il y avait trois buttes à grimper aujourd'hui, toutes trois culminant à 1600m. Je ne regrette pas d'avoir acheté les cartes de la trail à Missoula. Avant de partir, connaître le profil d'élévation permet une meilleure préparation. Aussi, ce matin je savais qu'il n'y avait aucun service sur les 110 premiers km. Au sommet de ces trois cols, le silence et la paix qui régnaient invitaient à rendre grâce à tout et surtout à tous ceux qui m'ont permis d'être là. Quel privilège. Eric Ouellet a eu l'honneur d'occuper soudainement mes pensées, pas tout à fait pour la sérénité du moment, mais parce que je me suis rendu compte que ma PowerBar était périmée de quelques mois. Eric m'en a déjà fait manger certaines qui était périmées de quelques années.


En redescendant du dernier sommet, j'admire le mont Strawberry qui s'élève de la prairie dans laquelle je vais rouler pour le reste de l'après-midi. Je fais une pause au point de vue judicieusement situé pour embrasser toute la vallée d'un seul coup d'œil. Doug qui déménage avec son fifth-wheel me fait une dissertation sur la route des pionniers. Très intéressant, mais il nous aurait fallu un plan. J'étais aussi perdu que quand Marc Hébert nous explique un plan de maison avec ses mains.


Pour une rare fois, le vent m'a momentanément fait perdre le contrôle dans la côte. Je n'ai pu retenir le vélo d'aller dans l'autre voie d'un coup sec. Je ne l'ai pas trop aimée celle là. Jusqu'à Mt Vernon, la route descendait doucement, mais ce qui aurait dû être un billet gratuit pour 40 km a été contrecarré par un vent constant de l'ouest. Rien à voir avec le Wyoming par contre.


Les journées se ressemblent en termes d'effort. Deux autres bons cols demain. Un géant après-demain. Les pentes se travaillent tellement mieux que le vent, je ne crains pas les cols, surtout qu'il y a toujours un nouveau panorama sur l'autre versant et nécessairement une descente. Ombre au tableau, je viens de voir à la sortie du village un beau losange orange : "Road work for 30 miles". Vent de poussière.


44.4180, -119.1140

Jour 46: Molson salue les vrais

179 km. Cum: 6742 km.


Baker City, OR - Déjeuner un peu tout de travers ce matin. Le gars du motel m'offre un café et un gros muffin en m'expliquant qu'il a déjà réparé la machine à espresso en utilisant ses connaissances de chauffeur de machine à ciment. Ça explique peut-être que le café est un peu raide. Je traverse au dépanneur en face et enfile deux burritos-déjeuner avec un verre de lait. Je quitte Cambridge vers sept heures.


Je dois d'abord grimper 400m sur 50 km. C'est un col malcommode avec une pente hésitante, toujours entre deux braquets, jamais le bon, on ne sait plus sur quel pédale danser. Quand j'atteins le sommet, le paysage qui n'était déjà pas tellement boisé s'assèche encore plus. Comme la vallée est artificiellement inondée par un barrage en aval, ça crée un contraste agréable entre les montagnes jaunes et ravinées contre le bleu de l'eau. La descente de 600m est courte mais grisante. 10 autres km de collines longeant le lac mènent à un pont de l'autre côté du barrage. Ce pont enjambe la rivière Snake qui constitue la frontière de l'Orégon. On recule d'une heure et on continue à descendre la rivière jusqu'à Oxbow où on trouve les premiers services depuis le départ.


En repartant de là, je rejoins Kyle de New York qui quitte à l'instant son site de camping. Il est parti sur la TransAm Trail le lendemain de sa graduation du baccalauréat le 17 mai. Il voyage assez léger avec seulement un Bob trailer. Il préfère tout de même mon organisation, mais comme il est étudiant, il n'a pas le budget pour dormir au motel chaque soir. On s'entend à merveille et on roule ensemble jusqu'à Halfway où on trouve des fruits frais à l'épicerie. On grimpe ensuite côte à côte mon deuxième col de la journée profitant de la circulation très légère. Avec son vélo démodé avec les manettes au cadre, son maillot Molson Canadian et sa bouteille de sauce forte (un cadeau de ses amis) dans la cage à bouteille, il voyage avec l'attitude parfaite.


On se sépare prudemment au sommet du col après avoir remonté le 600 mètres perdus ce matin et on se lance dans la descente à-pic et trop courte qui mène à Richland. Vu du sommet, ce village et les terres arrosées qui l'entourent semblent un oasis au milieu de cette terre de Caïn. On interrompt la descente pour causer avec un couple allemand qui est venu rouler pour 5 semaines. Les européens ont invariablement des vélos d'une tonne avec des pneus d'un pouce. Au village, pendant que je fais le plein de Gatorade, on rencontre un autre cycliste du Tennessee qui est probablement le dernier cette saison en direction Est. Au jour 13, il n'a pas tout à fait pris son rythme. Kyle qui a mal déjeuné décide d'aller au restaurant. Comme je file de mon côté, on échange nos numéros de téléphone, car il sera aussi à Baker City ce soir.


Je repars pour le dernier 40 milles dans une chaleur sèche pour un troisième col aussi haut que le deuxième. Heureusement que le ciel est demeuré voilé toute la journée. Je cumule les mètres gagnés, mais je les perds constamment pour mieux les remonter. La dernière pente à moins de 15 km de Baker City semble un mur, mais il y a toujours un sommet. Les rayons du soleil percent les nuages et produisent presque une vision, comme si Baker City était sous les projecteurs en récompense pour ce dernier effort. Une belle descente et du planche en finale, j'arrive au motel suggéré par le Tennessien à 17:15.


Kyle est arrivé à 19:15, car il a fait une crevaison. Il est arrivé avec son tube accroché dans le cou en m'expliquant que ça l'avait mis de bonne humeur. C'est la crevaison la plus joyeuse que je n'ai jamais vu. Vent de tube.


44.7777, -117.8336

lundi 28 juillet 2008

Jour 45: Faut pas s'Enfer

133 km. Cum: 6563 km.


Cambridge, ID - Ceux qui me connaissent très bien savent que j'ai les pieds plats. Ceux qui me connaissent très très bien savent que je n'ai pas de cartilage dans le nez; comme mes frères et sœurs, j'ai hérité d'un nez de boxeur. Ceux qui me connaissent très très très bien savent que je suis athée. Un mécréant comme on le définit dans les mots croisés. Ça ne m'empêche pas d'avoir un grand intérêt dans tout ce qui touche la croyance et de respecter la théorie de chacun. Au delà de la foi pure et simple, personne ne peut faire une démonstration, ni par déduction, ni par induction de la question ontologique, nous sommes tous sur un pied d'égalité là-dessus, ce qui commande respect et ouverture.


Cela dit, mon ouverture frappe parfois sa limite comme ce matin. À chaque deux milles sur la plupart des grandes routes, il y a un panneau "Adopt a highway" avec le nom d'un organisme qui s'occupe de ramasser les détritus le long de la route. C'est parfois une école, souvent un club social, une église ou un commerce. J'ai freiné sec quand j'ai vu le nom sur un de ces panneaux en remontant le canyon de Little Salmon River. "Yawveh's 666 Warning Assembly" (L'assemblée de la veille du 666 - le nombre de la bête). Je suis parti à rire me disant que ça devait être un groupe de musique heavy-metal.


Quelques km plus loin, je passe devant le local de la secte en question. De grandes affiches énoncent leurs postulats: "Satan est Jéhovah, Allah est Satan, Jésus est le fils de Satan, Veille de désastre". On accepte les livres à brûler comme les bibles, les corans et les images de Jésus. Bref, ce groupe ou son gourou se base sur une révélation qui repose sur une trahison tout en évoquant un concept de l'Apocalypse selon St-Jean. Si j'avais été investi d'une telle révélation, j'aurais déduit qu'elle avait toutes les chances de provenir d'un traître, aussi simplement que l'affirmation suivante ne peut être validée: "Je te garantie que je ne suis pas fiable". Le plus désolant, c'est qu'il y ait assez de membres pour nettoyer deux milles de route...


J'ai fini de monter ces 700 mètres après 40 km pendant lesquels la forêt de pins a repris ses droits sur le désert de la vallée. Il faisait même froid à l'ombre dans certains recoins du canyon. Un long plateau d'une vingtaine de km mène à New Meadows où je fais la collation après m'être frayé un chemin à travers l'autobus d'ados qui venaient d'envahir le dépanneur. Je pensais que ce serait l'enfer, mais ils m'ont gentiment laissé passer devant.


J'allais repartir après avoir discuté de ma bécane avec un jeune mordu du groupe d'ados quand un couple et ses 4 enfants s'intéressent à mon vélo et ma randonnée. Al et Sue de la Californie se joignent à ce qui ressemble étrangement à une conférence de presse. Al, qui a déjà fait des randonnées de plusieurs jours, s'intéresse particulièrement à l'approche ultralégère et répète tout à Sue qui essaie de manger son hamburger tranquille. "Sue, prends une photo, vient voir ça, tu ne sais pas quoi, etc". Avec ce vélo, j'attire plus de monde qu'une belle fille qui marche sur la plage avec son golden-retriever. Les gens sont toujours sympathiques et heureusement, je n'ai jamais eu affaire à des imbéciles.


En après-midi, un peu de descente et une succession de collines. Le terrain est fertile, les montagnes environnantes moins imposantes, la chaleur persistante. Au loin, on perçoit un léger voile de fumée. Je déduis qu'il s'agit sans aucun doute d'une conséquence des gigantesques feux de forêt en Californie après m'être questionné sur l'étrange odeur de cannabis qui flottait dans l'air. Je suis arrivé à Cambridge à 15:45 où j'ai élu domicile éphémère pour une 45e fois. Aller plus loin aujourd'hui se serait traduit par 90 km de plus.


J'ai goûté les pommes de terre Idaho sous toutes leurs formes: au four, purée, frites, hashbrowns. Demain, on passe à autre chose, l'heure du Pacifique pour de bon et l'entrée en Orégon, ma porte sur l'Océan.


Hier, j'ai trouvé la musique qui convient parfaitement à l'atmosphère actuelle de mon voyage. La trame sonore du film Into The Wild par Eddie Vedder colle parfaitement à mon feeling dans cet environnement. En plus, c'est un très bon film tiré d'un très bon livre. Envoye Monia, mets Eddie dans ton iPod et connecte en musique avec ton mécréant le temps d'un disque. Vent d'enfer.


44.5711, -116.6762

dimanche 27 juillet 2008

Jour 44: Avec pas d'casque

117 km. Cum: 6430 km.


Riggins, ID - Hier soir, je me suis promené au coeur de la fête du village, les Kooskia Days, l'évènement qui limitait mes options d'hébergement. Avec seulement 675 comme population, la fête est modeste. Vendeurs de rue, bières en liberté sur le trottoir, musique country, c'est festif sans prétention. Après souper, je traîne au stationnement de l'épicerie où un guitariste, son joueur de basse et son drum préprogrammé crachent du CCR, du ZZTop et du Santana pas trop mal pendant que les adultes attentifs regardent les infatigables jeunes enfants qui se trémoussent sans scrupules et surtout sans arrêt.


Ce matin, grasse matinée, petit déjeuner avec Greg et Carole qui sont de très bons hôtes sans fla-fla. On fait comme chez-nous. C'est toujours intéressant de pouvoir partager un peu de quotidien avec des gens de la place. Même si Greg a grandi dans cette maison, ça n'empêche pas la maisonnée de s'ouvrir sur le monde de diverses façons. Lui chérit son atlas et surligne toutes les routes qu'il a parcouru, il a une collection de monnaie étrangère. Elle a été élevée en Belgique par ses grands-parents et a déjà bien connu le français. Leur fils a épousé une fille du Guatemala, alors ils apprennent maintenant l'espagnol.


Je suis parti vers neuf heures sans trop me presser. C'est très facile à résumer comme route. Pour 50 km, ça monte de 1000m. Un village à 300m du sommet pour le ravitaillement. Au point culminant, le paysage change totalement. Les pins abondants et la verdure se font très rares, les montagnes s'assèchent et je descends 900m sur 15 km en constatant une hausse significative de la température. Je rejoins la rivière Salmon que je remonte en roulant sur le plat. Phénomène bizarre, j'ai souvent l'impression de descendre alors que le courant de la rivière me confirme que je monte. Il y a le vent du nord qui me pousse, mais l'illusion de descendre en montant est vraiment là. Les montagnes désertiques sont spectaculaires; dénuées de végétation, on voit toutes les arêtes et les ravins. La rivière est sinueuse comme hier ce qui ajoute beaucoup de suspense visuel. Il fait de plus en plus chaud. Il y a beaucoup de gens en kayak et en raft sur la rivière et mon passage suscite les cris et des appels de rames de chaque groupe. Moi, à leur place, je regarderais en avant...


Arrivé à Riggins, j'ai repris une centaine de mètres d'altitude et comme promis, je suis revenu dans le fuseau horaire Mountain en traversant la rivière. Il y a encore beaucoup de motocyclistes ici. Harley-Davidson est un gros vendeur dans le coin. Je dirais une moto sur deux. Ça fait toujours drôle de les croiser avec pas d'casques. Dans l'état voisin de Washington, le casque est obligatoire, alors ils doivent le traîner pour traverser. M'semble que ce serait plus facile de réfléchir à l'utilité du casque plutôt que de le mettre pour répondre à une obligation. Comme dit ma blonde, c'est à eux les oreilles.


Il y a d'autres particularités dépendant dans quel état on se trouve. Pour un Québécois, c'est un archaïsme de se faire demander si on veut la section fumeur ou non-fumeur dans un restaurant. Dans plusieurs états, on ne peut acheter de la bière et du vin que dans un Liquor Store, mais ici en Idaho, on peut tout acheter ça dans une station d'essence. Dans d'autres états, une section restreinte du dépanneur est réservée pour ces produits et il y a même des services à l'auto (!). Plusieurs pharmacies ont aussi le service à l'auto de même que la plupart des banques. Ce qui est commun à tous les endroits où je suis passé, c'est l'absence de recyclage. Quel dommage.


Aujourd'hui, je constatais justement combien parcourir ces états peu populeux et très républicains donne l'impression que l'immensité du continent n'a pas de limite à vue d'homme... Probablement, qu'à force de vivre dans aussi grand, les ressources semblent infinies, l'étalement urbain est un mince détail et la poubelle est un gouffre sans fond. Vent d'espace.


45.4181, -116.3179

Jour 43: Pommes de terre Idaho

218 km. Cum: 6313 km.


Kooskia, ID - Je ne pars jamais à l'heure que j'avais prévue et en général c'est parce que je rencontre quelqu'un et que je me mets à jaser. Échanger avec des inconnus, c'est un des aspects les plus intéressants du voyage. Hier les motards, ce matin, c'est Doug sur son recumbent qui s'informe où est la piste cyclable. Il est de la Caroline du Sud, il est parti de Vancouver et retourne chez lui. Il m'a pris pour un résident qui partait pour une petite promenade. Après avoir appris mon itinéraire, Doug me surnomme l'espion, car c'est comme si j'étais déguisé en gars qui s'en va faire un pique-nique alors que je traverse le pays.


Avec tous ces gens qui s'émerveillent de mon approche ultralégère, je serais prêt à ouvrir mon bagage pour leur montrer ma brosse à dent au manche scié, mon seul kit de linge de ville bien compressé et surtout leur faire comprendre qu'à peu près tout ce que j'ai, à part les outils et le matériel d'urgence, me sert à tous les jours. Depuis hier cependant, j'aurais une p'tite gêne à ouvrir mon sac. Comme mon antisudorifique était sur la fin, je suis allé en acheter hier soir. Ma fragrance n'était disponible qu'en format géant que je n'ai jamais vu au Canada. Je l'ai acheté et je me retrouve avec un bâton de désodorisant plus gros que mon iPod et mon cellulaire réunis. À côté de mon manche de brosse à dent coupé, ça fait un peu pitié. Le désodorisant, c'est comme les bobettes: un, ça ne se prête pas et deux, quand t'en as trouvé une sorte qui fait l'affaire, tu rachètes toujours la même chose. Même en format familial...


Parlant de bagages, Mister Phil a croisé un couple en tandem avec un gros trailer. Ils traînent un gros parapluie de golf ! Ironiquement, le seul item inutile que j'ai apporté est un couvre-casque imperméable. Mais qu'est-ce que nous avons les humains à craindre autant la pluie ? Ce n'est que de l'eau...


Je suis parti à sept heures et quart. Ces journées obligatoirement longues me rendent toujours un peu anxieux en partant, mais j'essaie de me raisonner. Dans ce genre de journée, ce n'est pas "Vais-je y arriver ?", mais bien "Quand vais-je arriver ?". Je monte pour 50 km jusqu'à Lolo Pass, à travers la forêt nationale Lolo, le long de la rivière Lolo, au nord du mont Lolo. À un panneau d'interprétation, j'apprends que Lolo vient d'un trappeur canadien-français du nom de Laurence que les indiens appelaient LouLou. Le nom est resté.


Lewis & Clark ont aussi traversé ce col pour descendre vers le Pacifique. Un autre repère historique le long de la route m'apprend que le Président Jefferson qui avait commandé cette expédition à caractère scientifique avait mis en garde les explorateurs pour qu'ils exercent la plus grande prudence en l'occurrence d'une rencontre avec un mastodonte (disparus depuis 10000 ans). L'auteur de la Déclaration d'Indépendance a toujours été reconnu pour exagérer de temps en temps. Ses proches le taquinaient souvent en le surnommant Thomas Jefferson Pel-le-tier. Cordiales salutations à ma belle-famille.


600 mètres d'ascension sur 50 km, ça donne une pente très douce, surtout que les 300 derniers mètres sont concentrés dans les 6 derniers km. Au sommet, on traverse la Continental Divide, on recule l'heure et on entre en Idaho. On s'engage alors dans le canyon sinueux de la rivière Lochsa pour 140 km. Au début, c'est déroutant tellement le gouffre est profond. Sur 8 km escarpé, je teste mes freins constamment, car une fausse manoeuvre et c'est un aller-simple pour l'abime. Les arbres, ces grands pins paratonnerres, sont comme des rangées bien droites de spectateurs dans un amphithéatre à-pic. Ensuite, le chemin s'aplanit pour descendre imperceptiblement suivant les méandres de la rivière. Je fais un arrêt pour me ravitailler au dernier point de service avant 110 km. Un motocycliste curieux me cause. Il travaille en Idaho pour une compagnie d'accessoires pour motos et motoneiges et il est un rare habitant du coin qui peut placer Valcourt sur une carte.


Le reste du trajet jusqu'à Lowell est une succession de virages spectaculaires avec la rivière qui chante et les montagnes escarpées en toile de fond. Je roule entre 25 et 35 km/h au gré de la pente et selon le vent. Soudain, un gros coyote sort du bois juste en avant de moi, il fait contact visuel avec mes lunettes et après avoir touché l'accotement, il bifurque vers le bois sans ralentir. Le sang m'a arrêté. Frapper un coyote à 30 km/h, ça aurait fait toute une trace sur l'asphalte.


À Lowell, un dépanneur tant attendu. Pendant que j'épanche ma soif, un motocycliste qui montre son bolide à un autre décolle son lecteur MP3 et c'est Johnny Halliday qui chante dans ses haut-parleurs. C'est un Belge en vacances. Sa femme est de l'Idaho et il vient faire de la moto avec sa belle famille une fois par année. Ils sont amateurs de Garou et aiment bien Robert Charlebois. On se comprend bien, mais il y a des nuances, comme par exemple, mon voyage doit prendre maximum nonante jours, peut-être quatre-vingt-quelques, mais sûrement pas septante. Il n'y a que les Suisses qui disent octante pour 80.


De Lowell, encore 40 km le long de la rivière Clearwater pour me rendre à Kooskia. À Kooskia à 17:15, je ne trouve pas le B&B que j'ai réservé et personne ne sait c'est où. Je finis par les appeler, je suis leurs indications et me rends compte qu'il n'y a pas d'enseigne. C'est un B&B probablement sans permis formel. Des gens très sympathiques qui me laissent circuler librement dans leur maison.


Tous les états ou presque utilisent la plaque d'immatriculation pour afficher leur identité. C'est parfois poétique comme Je me souviens, quelquefois historique comme l'Illinois: Land of Lincoln, rarement aussi catégorique quele New Hampshire: Live free or Die et la plupart du temps touristique et pittoresque comme le Montana: Big Sky Country. En Idaho, c'est, tenez-vous bien: Famous Potatoes (Célèbres Patates). Tout le monde connait la variété de pommes de terre Idaho, mais de là à mettre ça sur les plaques. Comme pour les noms de villages, ce n'est pas tant le résultat qui m'ébaubit que de savoir que ce genre de décision se prend en assemblée et qu'il n'y ait pas eu une meilleure suggestion...


Je suis fatigué, mais satisfait de cette journée qui s'est étirée d'une heure grâce au changement de fuseau horaire. Ce sera moins chargé demain, mais je reviendrai bizarrement dans l'autre fuseau horaire pour perdre une heure. Vent de Greenwich.


46.1457, -115.9722

vendredi 25 juillet 2008

Jour 42: Au quartier général

106 km. Cum: 6095 km.


Lolo, MT - En sortant de ma chambre ce matin, un des cinq motocyclistes stationnés devant le motel est en train d'astiquer le chrome de son bolide. Ce sont cinq vieux chums qui font une sortie de gars une fois par année. Je suis parti une demi-heure plus tard, la conversation avec ces joyeux drilles étant trop divertissante. J'avais l'impression d'être avec les Wild Hogs (vous avez vu le film, j'espère). "Regarde Joe, le gars est parti de Montreal avec juste ça de bagages !". "Ouais, c'est pas comme Brad qui apporte une tonne de cossins, une montagne de trucs inutiles derrière lui. Ça monte haut de même. Je te présente Brad, il voyage comme une femme ha! ha! ha!". Etc...


Ils m'ont mis de bonne humeur, tellement que j'ai fait un km dans la mauvaise direction. Avec un GPS, faut le faire. Aucun vent ce matin, 15 degrés, ciel sans nuage, les Bitterrots sont resplendissants, la route est planche, les oiseaux cui-cui, les p'tits chiens wouf wouf. Je rejoins un couple de Bostonnais dont le gars est en train de faire son doctorat en géographie. Méchante belle expérience de terrain.


Stevensville, à 30 km est un chantier qu'il est préférable de contourner par un chemin de gravier. Ensuite, c'est une piste cyclable toute en douceur qui me fait fredonner Freedom de Joseph Arthur (chanteur de l'Ohio, rien à voir avec Rosanna). À Florence, un court arrêt collation pour jaser avec deux habitués de la piste cyclable qui prennent un café. Au 70e km, je suis déjà à Lolo où je confirme ma réservation au motel, dépose mes bagages et repart en direction de Missoula, 15 km plus loin.


Pendant que je roule, je sens mon téléphone vibrer dans mon sac à dos avec ma sonnerie de 24 Heures Chrono. C'est le B&B de Kooskia qui me rappelle et hourra ils leur restent une chambre pour samedi soir. Là, je chante We Are the Champions même si ça n'a aucun rapport. Je flotte maintenant que cette banale (mais nécessaire) histoire d'hébergement qui me prenait la tête est derrière moi.


J'arrive à midi pile au QG d'Aventure Cycling Association. Bel accueil. On nous photographie au Polaroid pour nous épingler sur le mur déjà bien garni. Je peux voir que Mister Phil est passé ici il y a une dizaine de jours (il est connu comme Barrabas dans 'Passion). On nous invite à signer un livre de visite, on nous donne des glaces et on discute avec nous de l'expérience vécue à date. Dommage que j'ai laissé mon barda au motel, car j'aurais été immortalisé dans la collection de photos noir et blanc de Greg (le fondateur de l'association) en guise de mon effort de légèreté extrême.


J'achète les cartes version papier des 4 sections américaines qu'il me reste à faire. Ainsi, je connaîtrai maintenant le profil d'élévation et surtout j'aurai une liste complète des services sur mon chemin. Quand elle revient de luncher, je fais une belle surprise à Winona en lui transmettant les salutations de John, son amoureux que j'ai rencontré par hasard à Wisdom. Il travaille sur la construction et ces temps-ci, il part à Wisdom à la semaine longue. Les messages font leur chemin sur le Pony Express.


De là, je passe à un bike-shop étant encore aux prises avec une crevaison lente, très lente, mais crevaison tout de même et je fais ajuster mes vitesses. Petit lunch dans un bagel-shop, la grosse vie sale. C'est un charme de rouler dans Missoula, la ville étant aménagée en fonction de la circulation à bicyclette. Stationnements, voies réservées, etc. Il y a beaucoup de cyclistes. C'est à se demander si c'est la grande quantité de cyclistes qui a forcé cette infrastructure ou si c'est le fait de l'avoir créée qui incite les gens à faire du vélo.


Avec tout ça, il est plus de 15:00 et je reprends la route de Lolo en grande forme. En chemin, je vois un barbier qui a l'air à s'ennuyer et ça me rappelle que je commence à être couetté. Je freine et je me fais passer au clipper, peigne no 1. Ahhh, là je me sens bien dans mon casque. Demain, c'est la totale avec la traversée de Lolo Pass, l'entrée en Idaho, une descente de la vallée de la rivière Lochsa, 200 bons km. Selon les dires de tous, c'est d'une grande beauté visuelle et sonore. Vent de torrent.


46.7639, -114.0816

jeudi 24 juillet 2008

Jour 41: Ceux qui passent et ceux qui restent

122 km. Cum: 5989 km.


Hamilton, MT - Un de mes premiers emplois d'étudiant fut préposé au kiosque touristique sur le bord de la Transcanadienne à Cabano. Tous ces touristes de passage me fascinaient. J'aimais voir arriver une plaque d'immatriculation d'un état inédit comme l'Alaska, l'Orégon ou l'Arizona. Après les avoir renseignés, je les regardais partir. Point fixe sur leur itinéraire, j'avais l'impression d'être un électron sur le fil conducteur de leur voyage, une croche immobile sur la portée de leur mélodie baladeuse. Le fait d'être né tout près de cette route a peut-être semé quelque chose en moi.


Les rôles se renversent. Je ne peux m'empêcher de penser, chaque matin que je quitte un patelin, que la serveuse du restaurant, le commis du dépanneur ou l'hôtelier seront encore là dans un mois, un an et qu'ils vont peut-être y mourir. C'est très bien comme ça, mais dans cette fugue itinérante, ça fait quand même drôle de réaliser que tout ce que je trouve beau et exceptionnel, eux le voient à tous les jours. La plupart sont des figurants de mon point de vue et je suis juste un autre passant de leur point de vue.


Ce matin, à Wisdom, pour la première fois je me suis dit que je pourrais très bien rester là. Les gens ont l'air d'y vivre simplement et paisiblement dans juste assez de cowboyerie et juste assez de modernité. Après tout ce kilométrage, c'est tout à l'honneur du Montana. Le paysage me satisfait, les nuits sont fraîches et il ne semble pas y avoir de physiothérapeute. B'en quoi, faut bien rapporter des sous à la maison !


Oui, le sud-ouest du Montana, je commence à le comprendre. Ma route ressemble ici à un long zigzag et ce sera ainsi jusqu'en Orégon. Pour aller à l'ouest, il faut nécessairement passer un ou des cols. Le reste du temps, la route longe une rivière dans une prairie enchâssée entre deux chaînons de Rocheuses. Ce matin, de Wisdom en direction ouest, après 20 km de prairie, je monte très graduellement dans une forêt de pins. Après avoir passé le site du massacre des indiens Nez Percé et une grimpe de 400m, les deux chaînons de montagnes se rejoignent à 2200m et je passe consécutivement le col du Chief Joseph et le col Lost Trail. Ce sont deux passages de la Continental Divide et un séjour de moins de 1 km dans l'Idaho.


De là, 15 km de descente où je perds 800m d'un coup. Pas besoin de vous décrire l'extase d'une telle descente en lacets. Le chemin s'aplanit un peu plus par la suite, mais continuera à descendre le reste de la journée. À Sula, je fais la pause. Je rencontre Janice et Trish, deux Canadiennes de Calgary. Toutes deux parties de Banff, Trish va jusqu'au Colorado et Janice continue sur la TransAm jusqu'à la jonction avec l'Underground Railroad, défaisant mon chemin jusqu'à Niagara où elle reviendra à la maison par les prairies. Comme les deux autres que j'ai rencontrés au même endroit, le col à venir leur fait peur. C'est effectivement intimidant de ce côté-ci. Bien content de l'avoir descendu !


Je continue ma descente après avoir passé près d'une heure à me faire aller le mâche-patates avec tout ce beau monde là. Je longe une rivière et de chaque côté des montagnes, particulièrement jolies sur ma gauche, les Monts Bitterroots. À Hamilton, je vérifie mes options d'hébergement à Stevensville 30 km plus loin, mais tout est complet. Comme dirait Pierre Houde, ma parole !


Je tiens à arrêter à Missoula, le QG de l'Association Cycliste, un incontournable. Mais de Missoula, c'est plus de 200 km pour traverser le col de Lolo sans escale possible pour moi qui voyage sans tente. J'ai alors décidé de rester ici ce soir, dormir à Lolo demain (75 km), ce qui me permettra un aller-retour à Missoula et surtout un point de départ stratégique en vue de traverser ce long col. Reste à trouver une piaule de l'autre côté du col. Je suis sur une liste d'attente en écrivant ces lignes.


Depuis Yellowstone, ce qui n'a jamais été problématique, l'hébergement, me demande tout à coup plus d'énergie. Hier, mon ami Mister Phil a fini par aller au poste de police dans un bled du Dakota du Nord. Ils l'ont laissé installer sa tente sur le terrain et utiliser les douches du poste. Bien mal pris, je pourrais commettre une infraction et passer la nuit en prison. Vent de haute-saison.


46.2435, -114.1557

Jour 40: Reaching Wisdom

170 km. Cum: 5867 km.


Wisdom, MT - L'émoi causé par la tempête de grêle a fermé plusieurs commerces hier soir et je me suis retrouvé à bouffer du surgelé, réussissant de justesse à entrer dans l'épicerie avant la fermeture. Encore chanceux que la chambre soit équipée d'un four à micro-ondes. Je n'ai pas pris de chance et j'ai aussi acheté mon petit déjeuner hier soir. C'est un bien petit désagrément comparé à ces dégâts. J'ai pu quitter Sheridan à sept heures le ventre plein et bien habillé à 8 degrés C.


Il y a pas mal de dégâts dans le reste du village, des arbres effeuillés, des branches un peu partout, des fenêtres déjà placardées de contreplaqué. Des résidents m'ont confirmé que c'était exceptionnel et qu'ils ne laissent pas la pelle à neige sur le balcon en plein mois de juillet. C'est localisé dans le village, car 5 km plus loin, tout est normal. Pour 10 km, c'est une descente facile baignée par le soleil matinal jusqu'à Twin Bridges. Là, bifurcation vers le sud pour 50 km avec petit vent contraire et reprise des 100 m perdus. Je remonte la rivière Beaverhead comme Lewis & Clark il y a 200 ans. À la Beaverhead Rock, où un marqueur historique rappelle leur achat crucial de chevaux à cet endroit pour la traversée des Rocheuses, je reconnais un petit mal de tête caractéristique d'un manque de caféine. J'ai oublié ce détail dans mon déjeuner maison.


À Dillon à 10:00, je trouve tout ce qu'il faut pour un bon petit goûter, mais 10 km plus loin, je me rends compte que j'ai encore oublié le café ! Passé un certain point, j'ai besoin d'un café pour me rappeler que j'ai besoin de café. Vous allez dire que ce serait l'occasion rêvée de me sevrer de cette drogue, mais comme dit la chanson: Les promesses d'ivrogne ça s'tasse quand la soif te pogne.


Je grimpe d'abord le col de Beaver, un gain de 400 m pas trop difficile avec des pauses à chaque cran de 100 m que je fais coïncider avec le retrait graduel de mes vêtements d'appoint et des collations. La descente est courte et en bas, je croise Mark du Texas. Il est en vélo de montagne avec des sacoches en arrière. Il fait un sentier parallèle à ceux qui marchent la Continental Divide. Ce circuit relie des chemins forestiers, des routes de gravier et de courts segments d'asphalte, ce qui me permet de le rencontrer. Il est parti de Banff il y a un mois et devrait toucher la frontière du Mexique dans 90 jours. On a parlé une bonne demi-heure. Partis d'une même expérience de longue randonnée (il a fait l'Appalachian Trail), on partage nos impressions de randonnée cycliste montagne vs route. Belle rencontre. Les mountain-bikers, vous n'avez plus d'excuses !


Un deuxième col au programme, le Big Hole Pass. Grimpe similaire de 400m avec la même technique, le strip-tease en moins. Grimper ces cols est toujours gratifiant. Premièrement, on sait qu'on va descendre après et c'est toujours avec beaucoup d'avidité qu'on anticipe la vue qu'on aura du sommet. Ici, c'est la chaîne des Bitterroot Mountains qui émerge de l'horizon alors que je mouline les derniers mètres au sommet. Wow !


Descente obligée jusqu'à Jackson où je m'offre un Coca-Cola pour tenter de combler ma carence en caféine. Ce sera suffisant pour me faire fredonner le jingle de Coke pour le reste de la journée "C'est le vrai de vrai...". Pendant que je me fais ma dose, deux cyclistes que j'ai dépassés en amont se pointent. Je pensais qu'ils étaient de jeunes baroudeurs, les vélos étant nus, mais ils ont une voiture de support. Malgré cette légèreté, ils roulent sans se presser, partis de la Virginie le 17 mai...


Le dernier 30 km est une balade en scooter avec un vent favorable et une petite pente descendante. Ça me permet de remarquer les changements de couleur de l'asphalte. Sur près de 6000 km, j'en ai vu de l'asphalte. Il y en a de toutes les couleurs, aviez-vous déjà remarqué ? De la noire (neuve), de la grise (typique), de la verte, de la rose, de la rouillée et même de la blanche (béton). Je suis aussi à même d'apprécier les différentes textures de route. Il y a la courtepointe raboteuse (rue Shefford à Bromont), la satinée sans aspérités, la plus rough qui semble être un conglomérat de zéro-trois-quart, la mal roulée avec des crêtes et aussi le tar & chips en Illinois où on étend du goudron sur de la poussière de roche. Dans les plus grandes calamités de la route, je vous ai parlé des joints d'expansion et de la gomme noire, mais il ne faut pas oublier les vibreurs gravés le long de la voie qui servent à réveiller les chauffeurs endormis, mais qui sont à mon avis une nuisance pour les cyclistes. Au Québec, on ne trouve ces vibreurs que sur les autoroutes, mais à l'ouest du Mississippi, c'est la norme sur les routes principales.


À 40 ans, après 40 jours et 40 nuits de randonnée cycliste, je me réveille au village de Wisdom au Montana. Wisdom signifie sagesse. Je pourrais faire tout un bilan de ces 40 jours, mais je pense que vous avez pu constater combien une expérience si intense au quotidien nous apprend tout, mais rien au fond qu'on ne savait pas déjà. Que ce continent est grand, mais pas assez pour qu'il soit impossible à traverser en bécane. Que les pneus peuvent crever, les montagnes se hisser, les nuages se vider et les rafales se déchaîner, le cycliste même solitaire n'est jamais seul. Vent de sagesse.

45.6183, -113.4474

mercredi 23 juillet 2008

Jour 39: Une tisane ou une cigarette

171 km. Cum: 5697 km.


Sheridan, MT - Après avoir traversé deux parcs nationaux, j'avais un peu la crainte d'être déçu par la route d'aujourd'hui. Dès le départ, la route s'engage le long de la rivière Madison et ne la quittera plus avant Ennis mon premier escale à 115 km.


La rivière s'enfle d'abord pour former les lacs Hebgen et s'engage dans un étroit canyon dont la majesté des monts qui font remparts constitue une suite logique aux merveilles des derniers jours. C'est une beauté moins clinquante, plus tranquille, moins tonitruante, plus apaisée. C'est comme la tisane relaxante après le gros dessert sucré, la cigarette après l'amour. Hmm, je n'ai jamais fumé, mais on voit toujours ça dans les films lors des rencontres illicites. Maintenant qu'on ne peut plus fumer à nulle part, peut-être que c'est devenu une bonne excuse de sortie pour l'amant qui veut s'épargner la conversation qui s'en suit. Je m'écarte du sujet et je parle de choses que je ne connais pas, alors revenons à nos moutons.


Le canyon se referme sur un lac formé par un glissement de terrain conséquence d'un tremblement de terre en 1959. La route sur laquelle je roule avait été inondée de plusieurs mètres. Pour éviter que ce trop-plein se déverse dans la vallée, la garde nationale avait alors creusé d'urgence un canal de déversement, comme ils ont dû faire en Chine cet hiver. Ça ressemble encore à un immense chantier, 50 ans après. Ironiquement, 10 km en amont, un barrage hydroélectrique crée un lac artificiel. C'est fou comme l'humain s'entête à recréer ce que la nature avait déjà fait pour lui.


Ensuite, la vallée s'élargit suffisamment pour créer une belle prairie à l'équerre de chaque côté de la rivière entre deux massifs montagneux. C'est le paradis des pêcheurs à la mouche. La pente légèrement favorable qui suit le courant combinée au léger vent sud-est me pousse sans bon sens. Ça donne des vitesses record pour des efforts minimaux. 15m 20s pour une section de 10km, ça commence à faire vite. À Ennis à 11:30, j'avais perdu 500m d'altitude.


J'ai pris une pause très plaisante au Cowboy Heaven Cafe, avec un très bon sandwich et un smoothie. Au dépanneur, pendant que je fais le plein de Gatorade, un quidam me demande d'où je viens et où je vais avec son haleine de whisky. Je lui fais le boniment habituel et il compatit avec moi, car ici "ce n'est pas mêlant, n'importe où tu vas, il faut monter une côte". Il me pointe les nuages et il pense que c'est un peu malade de risquer de se faire prendre dans un orage. Je lui explique qu'il y a toujours un abri pour se couvrir quand le tonnerre gronde. Il me souhaite bonne chance pour la côte qui s'en vient.


Je prends toujours les indications des passants avec un grain de sel. Ils sont de bonne foi, mais si la personne trouve difficile de faire 10 km de vélo, je ne peux me fier à son opinion pour le degré de difficulté d'une section de 50 km. Il y a aussi que la perception d'un automobiliste est parfois non applicable à la réalité du cycliste. Par exemple, la plupart des gens qui travaillent chez IBM croient qu'après la côte de Thomas & Betts, c'est planche jusqu'à Granby, jusqu'à temps qu'ils le fassent à vélo.


Ça monte pour sortir de Ennis ? Ça monte. Ça monte 600m sur 15 km ! Les gros nuages ? Les gros nuages. Il s'est mis à pleuvoir sans merci et le tonnerre s'est mis à gronder. Un abri ? Zéro abri, exposition totale, un chicot d'arbre aux 500 pieds. Quidam de malheur. Heureusement, le tonnerre a tourné autour du pot et un seul éclair m'a vraiment glacé le sang. Au sommet, un replat, le soleil sort pendant qu'il pleut encore et sauf pour les pieds, je suis sec 5 km plus loin grâce au cycle de séchage prodigué par la redescente. Ces 5 km de descente mènent à Virginia City, village touristique resté figé en 1890. Aucune trace de l'orage. Je rencontre 4 cyclistes qui forment un groupe de 5, un des leurs étant missing-in-action. Ils n'ont pas l'air à chercher fort fort. Ils sont en direction de l'ouest, peu bavards et semblent épuisés. Ils sont partis d'Ennis...


La route planche et le vent du sud-est continuent de me pousser vers Sheridan sans trop d'effort. J'en profite pour admirer ce paysage tranquille. 15:30 à la porte du motel qui offre beaucoup pour beaucoup moins cher que les détrousseurs de Yellowstone.


La sirène du village a retenti peu de temps après mon arrivée. Je n'en fais pas de cas et j'appelle ma douce. Pendant que je lui parle, bing bang bing bang. Monia a l'impression que je lui parle à côté d'une machine à pop-corn, mais non, c'est de la grêle qui tombe. De la grêle pour adultes, grosse comme des trente-sous. Le déclin de vinyle du motel est tout percé, toutes les fenêtres de l'école élémentaire sont cassées. Je m'imagine un instant ce que ça aurait pu vouloir dire pour un pauvre cycliste solitaire sans abri... Vent de bonne fortune.


45.4540, -112.1973

lundi 21 juillet 2008

Jour 38: Yellowstone

124 km. Cum: 5526 km.


West Yellowstone, MT - "Nous n'avons que le buffet pour déjeuner ce matin, monsieur". "Tant pis pour vous...". Un déjeuner très copieux qui devrait me mener facilement jusqu'au geyser Old Faithful sans avoir à manger. Une courte journée en kilométrage ponctuée de nombreux arrêts aux points d'intérêts du parc.


Le premier 30 km est une montée abrupte de 300m le long du canyon de la rivière Lewis. Au lac Lewis, un plateau longeant une forêt en régénération suite aux feux dévastateurs de 1988, mène à une autre montée de 150 m pour traverser la Continental Divide (retour côté Atlantique). Au km 40, après une courte descente, le West Thumb Geyser Basin me fait le spectacle des premières fumeroles des étangs bouillonnants, d'un gros bison qui fait la sieste, d'un coyote couché près d'une table à pique-nique et d'un cerf broutant. Je suis à Yellowstone, wow! Dois-je me pincer ? Non, les moustiques s'occupent de me rassurer que je ne rêve pas.


Deux autres traversées de la Continental Divide me ramènent côté Atlantique et après un arrêt à de superbes chutes, j'arrive à midi trente à Old Faithful Geyser, ce célèbre geyser qui jaillit aux 90 minutes. Une vraie Westclox comme dirait un certain Réjean. Je profite de l'attente de la prochaine éruption pour faire une recherche d'hébergement à l'ouest du parc que je quitterai en fin de journée. Beaucoup de téléphones: Office du Tourisme, Chambre de Commerce, numéros directs pour finalement dormir encore à un prix scandaleux, mais au moins j'aurai un toit pour la nuit.


Old Faithful ne déçoit pas ses spectateurs et donne un bon cinq minutes de spectacle avant de se reposer pour la prochaine représentation. C'est vraiment drôle de voir tous les gens aller s'attrouper en regardant leur montre. N'essayez pas d'aller au casse-croute entre les éruptions, c'est la longue file assurée.


Le reste de l'après-midi, c'est une douce descente qui mène d'un point d'intérêt à un autre. Ici un geyser, là une source chaude. C'est assez sauté de voir de la vapeur qui s'échappe d'un peu partout. J'aurais cru qu'il règnerait une odeur de souffre, mais ça sent surtout la piscine. Quand un animal sauvage est près de la route, c'est très facile à identifier, car c'est l'embouteillage automatique. Ici un coyote, là un cerf, au loin un bison solitaire. Je pensais voir des troupeaux de bisons, mais ils se tiennent tranquilles à ce temps-ci de l'année. En fin de parcours, le chemin longe la rivière Madison. C'est la joie de visiter le parc à vélo, malgré la circulation, car contrairement aux automobilistes, j'ai droit aux bruits de la rivière et à l'odeur des résineux mêlée à celle de la piscine. Juste avant d'arriver au cirque de West Yellowstone qui vit essentiellement du parc, je franchis la frontière du Montana.


Deux journées de pur tourisme qui me font croire que je reviendrai dans ces parcs, mais surtout pas en solitaire. Il y a beaucoup de beauté à partager ici et tout est tellement plus beau à deux. Pour la première fois depuis un bon bout de temps, je suis dans un état frontalier du Canada. Serait-ce déjà le chemin du retour ? Vent du Nord.


44.6593, -111.1054

Jour 37: Le Grand Teton

133 km. Cum: 5402 km.


Yellowstone South Entrance, WY - Dubois dort encore à sept heures en ce dimanche matin. Le Cowboy Cafe tenu par des Français est exceptionnellement fermé, car il faut mener les enfants à l'aéroport. Pas dur à deviner, tout le monde en parle. Je déjeune au Kathy's Cafe dans une atmosphère détendue. Je me tape même plusieurs pages de magazine en sirotant un excellent café latte.


Le ciel s'ennuage par le temps que je sois prêt à partir à 8:30. Il fait 15 C, on endure le jacket. Pas trop mêlant pour les 50 premiers km, je grimpe 800 m jusqu'à Tugwotee Pass (2900 m). C'est une montée en escalier qui cède une vingtaine de mètres pour chaque cinquante gagné. À 9:30, une rafale de vent me fait échapper un juron. Je pense que je souffre maintenant d'une démence légère épisodique déclenchée par le vent. En Provence, il parait que le Mistral peut rendre fou. Moi, le Chinook est en train de me rendre paranoïaque. Cette rafale perdue était heureusement une fausse alerte.


À Tugwotee Pass, le ciel se dégage après avoir donné quelques gouttes dans la montée. Je passe de nouveau la Continental Divide pour me retrouver du côté du bassin versant Pacifique. Versant pas à peu près, car pour 17 milles, je descends à 6%. Cauchemar pour un camionneur, rêve humide pour un cycliste. Wow, une descente sublime, juste la bonne pente, 50 - 60 km/h, pas besoin de se blanchir les jointures sur les freins, du planeur. Un cycliste qui peine en sens contraire (Boise, ID à Denver, CO) m'annonce que dans 2 milles, je verrai les Tetons. Il n'a pas menti et à partir de ce moment, j'ai constamment freiné la descente pour collectionner les photos.


Je vais vous laisser voir ça sur les photos, ça se passe de commentaires. De plantureux pitons effilés coiffent des pyramides enneigées. Les explorateurs qui ont découvert et nommé ces merveilles passaient de longues semaines dans la solitude totale. J'imagine que la métaphore qui a mené au nom de ces montagnes trahit la pensée lubrique, mais prévisible du découvreur dénué de contact humain pendant si longtemps. Il a nommé ces montagnes en évoquant la plus belle chose qu'il pouvait imaginer à cet instant précis. Une théorie défendable, mais personnellement je n'y vois qu'un grandiose panorama de roche.


Je reviens exactement à la même altitude après ce long atterrissage et j'abouti à Moran Jct qui me semblait un village sur ma carte, mais ce n'est que la guérite du parc Grand Teton. Je ramasse le téléphone public et je passe 45 minutes d'un transfert d'appel à un autre à essayer de me dégoter un toit pour la nuit. Il y a un numéro central pour le logement autour des 2 parcs et ils m'ont souhaité bonne chance, c'est pour vous dire. Je me rabats alors sur mon premier appel, le Flagg Ranch Resort et me résigne à réserver une cabine à un prix exorbitant, toutes les autres options étant non-disponibles ou à rebrousse-chemin. Entre Grand Teton et Yellowstone, la loi de l'offre et la demande n'a pas son pareil.


Il me reste 30 km et il est 13:30. Je prends alors tout mon temps et profite du paysage, m'arrêtant à presque tout les overlooks. Je m'offre pour photographier un couple qui me rend la pareille et lorsqu'ils s'informent de mon itinéraire, j'ai l'impression d'être une vedette devant des groupies. Ils caressent le vélo, le GPS, mon tube de Camelback (!), tiennent mon casque et me bombardent de questions. Un peu plus, ils me demandaient mon autographe.


Après avoir frôlé Vail au Colorado, me voici tout près de Jackson Hole. Difficile de ne pas penser à mes potes sans-peur qui sont venus et reviendront sûrement skier ces pentes vertigineuses. Je connais vos spots un peu mieux maintenant.


J'étais tombé dans le piège de croire que le vent avait une dette envers moi. Le vent aussi contrariant soit-il est partie intégrante et conséquence de ce spectacle visuel extraordinaire. Que ce soit en renversant la vapeur ou en s'associant au relief grandiose, le vent finit toujours par nous rembourser dans un délai et un taux inconnu. Une seule chose est sûre, il paye toujours en nature. Vent de créance.


44.1055, -110.6732

dimanche 20 juillet 2008

Jour 36: Vélo stationnaire

123 km. Cum: 5269 km.


Dubois, WY - Comment on fait pour aller à Dubois ? On commence par déjeuner au Family Restaurant de Lander sur le bord de la rivière Popo Agie et on part sur la route 287 vers le nord-ouest. Quand on a grimpé 500 mètres et qu'il y a un regroupement de plus de trois maisons, on est rendu.


Je suis parti à 9:30, bien reposé et sans douleur malgré la galère de la veille. Ça commence assez raide avec une grimpe de 150m dans le premier 5 km. Sinon, c'est une montée très graduelle, quelques replats et quelques descentes à regretter quand on connaît l'altitude à destination. C'est la joie totale, l'environnement est pittoresque comme hier. Certains rochers semblent avoir surgi de terre tout de travers. J'aimerais parfois que mon frère Macaire, scientifique autodidacte, soit là pour faire l'interprétation instantanée de ces phénomènes.


La journée durant, je me trouve dans la réserve indienne de Wind River. Ce sont des indiens Shoshones, tribu dont Sacagawea est issue, cette squaw de l'expédition de Lewis & Clark qui fut achetée (!) par Charbonneau, le Canadien-Français du groupe. On évoque l'histoire des Shoshones sur des panneaux d'interprétation le long de la route. Le grand-chef Washakie a sûrement négocié une clause pour les grands honneurs dans ses tractations avec les blancs, car tous ces repères historiques louangent son leadership et son grand courage. Quel contraste après mon passage à Fort Larned au Kansas où on s'amuse à remémorer le massacre des indiens à coups de reconstitutions à grand déploiement.


La Wind River, littéralement la rivière du vent, porte très bien son nom, car au km 80, alors que la route et la rivière se rencontrent, à 13:20 exactement, le vent de l'ouest se lève. Aucune bourrasque annonciatrice, ça commence comme ça, aussi violemment qu'hier directement de l'ouest. Ah la vache ! Il me reste encore une quarantaine de km et je sais que ce sera infernal et interminable. Je commence à me demander si cette traversée du Wyoming n'est pas en train de se transformer en pèlerinage à Yellowstone pour m'affranchir du vent.


Le scénario se répète, je dévale les pentes à 15 km/h en pédalant. Ça devient ridicule par endroit. J'imagine les automobilistes hilares à la vue de cette scène grotesque du cycliste qui fait du vélo stationnaire à contre-rafale, le faciès tordu à l'effort en descendant une côte. J'en profite pour faire des photos, car le décor est rempli de surprises.


J'ai dû prendre autant de temps à faire les derniers 40 km que les premiers 80. Je suis arrivé à Dubois (2100m) passé 16:00. Ici, on prononce Dou-Boys. C'est fascinant de voir toutes ces traces des Français qui sont passées à la postérité sur les cartes, mais qui se sont transformées dans la langue de l'habitant. Demain, je vais passer dans le Parc Grand Teton. Peu d'Américains réalisent l'image concupiscente qui animait l'explorateur à la vue de cette montagne et la plupart ne tolèreraient pas que ça s'appelle le parc du Great Tit, n'est-ce pas ?


Dans les articles qui précèdent mon départ, quand je décris le contenu de ma besace, je précise que j'apporte mon lecteur iPod pour pouvoir écouter Pierre Lapointe au Kansas. Qu'on soit au Kansas, au Missouri ou au Wyoming, écouter de la musique québécoise au beau milieu d'un environnement complètement étranger à ces mots a un effet magique. Avoir Gilles Vigneault, Les Trois Accords, Malajube et les autres dans les oreilles, sachant que moi seul ici peut comprendre cette poésie, c'est comme être le seul à connaître un code secret. Essayez-ça dans votre prochain voyage, c'est génial. Connaître le français en Amérique, c'est une richesse insoupçonnée.


Demain, après un nouveau passage de la Continental Divide à 2900m, je vais me retrouver dans le Parc Grand Teton. De là, si le vent le permet, ce pourrait être l'entrée dans Yellowstone, mais comme le vent démontre peu d'indulgence dans les derniers jours, vaut mieux ne pas trop prévoir à l'avance. Vent de purgatoire.


43.5334, -109.6319

samedi 19 juillet 2008

Jour 35: Bourrasser dans la bourrasque

206 km. Cum: 5146 km.


Lander, WY - 6:45, le derrière sur le vélo, 3L de Gatorade sur le dos et la tête un peu anxieuse. Aujourd'hui, aucune option possible, c'est plus de 200 km ou rien. C'est la première fois que je n'ai aucune possibilité d'hébergement sur une aussi grande distance et ce matin, ça me prend un peu la tête.


J'aperçois les Belges sur le dessus de la première côte. Ils ont aussi payé trop cher pour un motel très ordinaire à l'autre bout de la ville. Au moins, j'ai eu droit à un déjeuner respectable, alors qu'eux se sont contenté de beignes et de mauvais café. Ils se rendent à Jeffrey City où ils camperont ce soir. C'est à mi-chemin de ma route, alors je leur souhaite la meilleure des chances et je les largue à plus de 30 km/h poussé par le vent du sud.


La matinée est pur bonheur sur deux roues. 75 km franc-nord avec un vent du sud. Quelques montées facilitées par la poussée du vent toujours suivies par de longues descentes où il faut mettre les freins pour photographier le paysage. J'ai l'impression d'avoir un moteur.


À Muddy Gap, ma route bifurque vers l'ouest. Ça va rondement et mon stress matinal s'est évaporé. Je prends le temps de m'arrêter aux marqueurs historiques qui ponctuent cette portion de la route. Split Rock, un rocher indenté à son sommet, servait de point de repère aux migrants qui empruntaient le Sentier de l'Orégon pour aller s'établir en masse dans l'Ouest. C'était aussi un relais du Pony Express, ce système de courrier à cheval qui fut aboli par l'avènement du télégraphe en 1861. Une crevaison interrompt mes calculs concernant le soi-disant record de William "Buffalo Bill" Cody qui aurait utilisé 21 chevaux pour couvrir à lui seul 322 milles en moins de 24 heures. Ouain. Moi, à 11:30, j'ai déjà 107 km aux fesses, ce qui n'est pas mal considérant la crevaison et mes arrêts touristiques.


Comme je suis à Jeffrey City, j'espère trouver un dépanneur pour refaire le plein. Il n'y a qu'un seul commerce, le Split Rock Bar & Cafe. Ici, on lance le menu aux clients qui osent commander autre chose qu'une bière, Gatorade c'est le nom d'une planète et l'interrupteur pour la lumière des toilettes est à gauche. À gauche, à l'extérieur j'ai dit ! [avec gros soupir d'exaspération maudit cycliste qui va me faire marcher jusqu'à la cuisine et qui voudrait qu'on vende du Gratogade pas capable de prendre une bière comme tout le monde maudit que j'aimerais qu'il n'y ait jamais de clients...] J'ai sorti de là à 12:15 en plaignant les Belges qui vont devoir subir cette experte du service à la clientèle.


Cet intermède a constitué le pont parfait entre ma matinée de rêve et mon après-midi de forçat. Un vent dantesque s'est levé pendant que je mangeais mon sandwich chez la marâtre. Ça souffle Ouest-Sud-Ouest et pas à peu près. C'est une répétition du Kansas, mais en pire, car il y a du relief. Dans les montées, je dois redoubler d'effort si je ne veux pas rester au point mort et tomber sur le côté. Dans les descentes en pente douce, je dois pédaler pour avancer (15 km/h à 6%) et dans les pentes plus fortes, j'ai la chienne que les bourrasques me balancent dans le décor.


Je rencontre un Hollandais en sens inverse qui fait du 40 à l'heure sans se forcer et plus loin, Pierre-Yves, un Français qui troquerait bien son vélo pour le mien, mais pas ma direction. Il a partagé un logement avec un Québécois pendant un an, alors il se fait un plaisir de me montrer qu'il a appris à jurer en bon québécois. Il a alors pu comprendre parfaitement quand je lui ai dit ce que je pensais du vent aujourd'hui. Le paysage est heureusement très gratifiant en réponse à tous ces efforts. Malgré la beauté, la frustration de ne pas pouvoir avancer a pris le dessus à partir du km 150. Je me suis rappelé que Mister Phil m'avait dit être déjà tombé dans le piège de prendre l'affront du vent personnellement. C'est exactement ce que j'ai ressenti, comme si le vent répondait à chacun de mes coups de pédales...


Au km 180, des falaises rouges, un vert inédit dans la végétation et une côte qui ne veut pas se descendre me sont apparus comme une grosse grimace à mon acharnement. Je me suis calmé, la route a fini par crocheter vers le nord et je suis arrivé à 19:10 au motel.


Ce soir, je suis complètement vidé physiquement, c'est la journée la plus difficile à date. Au coeur de cet après-midi en soufflerie, où je me demandais si j'y arriverais, j'ai réalisé une nouvelle fois que ce genre de voyage comporte plusieurs facettes et qu'il faut parfois l'appeler par son vrai nom: Vent d'aventure.


42.8389, -108.7448

jeudi 17 juillet 2008

Jour 34: Sur l'autoroute !

97 km. Cum: 4940 km.


Rawlins, WY - En écartant le rideau à 6:45, j'ai vu partir les 2 cyclistes qui étaient installés dans le camping. S'ils vont vers l'ouest, je vais sûrement les rejoindre. J'avais vu la tente et les vélos hier soir, mais pas de trace des pédaleurs. Je vais déjeuner au Bear Trap Cafe, la même place où j'ai soupé hier soir. Tout le monde a l'air à moitié éveillé, les cowboys gardent leur Stetson pour manger. Seule la serveuse a l'air d'avoir bu un pot de café avant d'ouvrir la porte.


Je pars à 8:00, bien habillé. C'est limite pour le cuissard long, mais le fond de l'air est frais (Ça m'a toujours fait rire cette expression). Le doux roulis de la veille se continue sous un ciel voilé. Jusqu'à Saratoga, je roule le long d'un ruisseau qui est en fait le bras nord de la rivière Platte. Avec un nom pareil, c'est sûrement un affluent du lac Penché. Dans ce coin-ci du Wyoming, on dirait qu'on est entouré de dunes de sable couvertes de tapis gazon magané. En fond de décor, quelques pics rocheux égarés. Quelques arbustes très chétifs et des fleurs sauvages ajoutent du jaune vif et du vert olive au jaune sec et sablonneux. Il y a toujours des vaches au loin qui picotent le coteau et ça sent bon la sauge.


À Saratoga, je me déculotte, reprends ma tenue habituelle et me remets en selle. Je perds de l'altitude au compte-goutte, devant parfois faire un petit effort pour coiffer une colline pour ensuite ne plus pédaler pendant un km. Pour une dizaine de km, il y a dans l'asphalte des joints de dilatation d'usure vraiment casse-cul. Sur près de 5000 km, je calcule en avoir souffert une bonne centaine à cause de ces craques. Parfois, elles sont colmatées par un genre de gomme noire qui ramolli à la chaleur. Perpendiculaire à la voie, ce remplissage n'est pas mal, mais dans le sens de la longueur, c'est un tue-cycliste. J'ai failli me casser la gueule à Kremmling avant hier. Dans le Tour de France, il y a une couple d'années, le meneur du peloton s'était vu le derrière dans une chute mémorable en collant dans cette gomme de route. Lance Armstrong, qui était dans sa roue, a pris le clos sans chuter, a coupé le virage et continué comme si rien n'était arrivé.


Après avoir photographié des bœufs gigantesques à l'entrée d'un ranch, j'ai aperçu la tête de peloton faisant la pause. J'ai ainsi rejoint Yann et Tania, un couple belge, qui ont pris un congé sans solde pour venir pédaler la TransAm Trail. Atterris à Washington, DC à la fin mai, ils ont dû attendre une semaine avant que les vélos ne les rejoignent. Ce n'est pas la première fois que j'entends une telle histoire d'horreur. Pourtant les vélos sont toujours enregistrés dans des boîtes ou des sacs spécialement conçus. Égarer un stylo, une clé, une brosse à dent, je comprendrais, mais un vélo de 15 kg. Ils les ont récupérés, mais pas en même temps, car en plus de British Airways, FedEx s'est aussi mélangé dans ses codes-barres. Ils ont gardé le moral et pourraient maintenant s'engager comme guide touristique dans la capitale américaine.


C'est une bonne chose de les avoir rencontrés, car je suis encore dans la section qui n'est pas chargée dans mon GPS. Un rapide coup d'oeil à leur carte me rassure pour la route jusqu'à Rawlins et me confirme que nous devons rouler un bon 15 km sur l'autoroute ! Avant de larguer Yann et Tania qui feront la pause à Wolcott, je leur dis qu'il y a sûrement un dispositif spécial de protection sur l'accotement et des avis pour les automobilistes, car l'espérance de vie à l'extérieur d'une voiture sur l'autoroute est de 7 minutes. L'ACA a dû travailler fort auprès des autorités juste pour faire accepter que des cyclistes puissent utiliser l'autoroute.


Croyez-le ou non, il n'y a aucun avis, aucune affiche, aucun dispositif. Il y a bien des grooves à droite de la chaussée comme partout, mais rien d'autres. Ne cherchez pas de photos de cette portion, je me suis dévissé les jambes, un œil en avant et un autre dans le miroir dans cette portion terrifiante, surtout quand on connaît les statistiques. J'imagine que Yann et Tania ont pris une pause aux 7 minutes pour remercier le ciel d'être encore en vie... ...du moins je le souhaite.


À Sinclair, je quitte ce cauchemar à moteur pour traverser un parc industriel. Sinclair, c'est le village où se trouve la raffinerie de la compagnie du même nom, comme si les gens de St-Romuald restaient à Ultramar. À Rawlins, je suis accueilli par un Boulevard Taschereau à l'hébergement hors de prix. Comfort Inn et Holiday Inn à 169$ ! Eille woah, je vais au Hilton à Québec à la moitié de ce prix-là, mais la femme en arrière du comptoir ne sait pas c'est où Québec. J'ai fini au Days Inn pour un prix plus modique.


Arrivé à 12:30, je suis encore dans la situation où continuer se traduit en 200 km de plus. Ce bout d'autoroute ne méritait pas de faire partie de la randonnée épique qui devra me mener à Lander. Alors, on part de bonne heure demain et on se repose aujourd'hui. D'ailleurs, j'ai attrapé un petit rhume. C'est sûrement suite à la descente glaciale à Breckenridge et le fait d'avoir serré la main de Todd le lendemain. Todd n'arrêtait pas de renifler en me parlant. Il a dû me refiler un Todd'microbes. Vent de rhume.


41.7917, -107.2122

Jour 33: Le Vent du Wyoming

181 km. Cum: 4843 km.


Riverside, WY - Je n'ai pas revu Jerry et Lynn hier soir. On aurait dû échanger nos numéros de cell. On avait parlé du Bob's Motel, c'est là que j'ai fait mon nid, mais aussitôt changé, je suis allé m'évacher au Big Shooter Cafe pour une longue pause avec crème-glacée, brownies et café latte. Peut-être ont ils levé le nez sur le Bob's Motel. Pas de A/C, pas d'internet sans-fil. Faute d'avoir partagé un repas avec eux, j'ai l'adresse de leur site web: http://www.jerrylisenby.com


Ce matin, j'ai déjeuné au Moose Cafe. Je suis le premier client à 6:00, un deuxième client finit par se joindre à moi au comptoir. C'est un géologue qui me donne quelques repères pour le Wyoming qui s'en vient. Parlant de Yellowstone, il déplore le manque de budget des Parcs Nationaux dans les 8 dernières années. 8 comme dans 8 années de George W. Bush, ce qui est un bon indice qu'il va voter Démocrate en novembre.


Je suis parti à sept heures habillé jusqu'au cou à 10 degrés C. Quel beau cadeau de pouvoir rouler au petit matin dans ce paysage magnifique: les fleurs, les collines, les montagnes enneigées à l'horizon, les canards dans la mare et même un pélican dans l'étang. Je me suis réchauffé dans la grimpe très gentille menant à Muddy Pass (2600 m). Là, j'ai fait la jasette avec un motocycliste. Après tout, on partage la même passion sur deux roues. Il est parti de Rochester, NY il y a 4 jours. J'ai passé là au Jour 5 de ma route, ça m'a donc pris plus de 25 jours pour me rendre à la même place que lui. On a la même passion, mais pas à la même vitesse...


Petit rappel géographique, la Continental Divide est la ligne de partage des eaux de l'Amérique. Autrement dit, c'est cette crête qui détermine si une goutte de pluie aboutit dans le Pacifique ou l'Atlantique. Il y a deux jours, en franchissant triomphant le col Hoosier, j'ai passé du côté du bassin versant Pacifique. Ce matin, en passant Muddy Pass, je suis de retour côté Atlantique. Si vous m'avez bien suivi, je vais devoir encore traverser la Continental Divide un nombre impair de fois avant de tremper ma roue dans l'Océan Pacifique.


Il y a le même phénomène au Témiscouata, la ligne partageant les eaux se trouvant à St-Honoré. La neige qui fond à l'ouest de ce village alimente le fleuve, alors qu'à l'est, l'eau de fonte termine sa course dans la Baie de Fundy. Je dois franchir ce "col de St-Honoré" chaque fois que je retourne dans mon patelin. D'ailleurs, les abondantes accumulations de neige à cet endroit font partie du folklore régional. Mon père aimait raconter que sur les images saintes distribuées aux enfants sages à la petite école, Saint-Honoré était représenté avec non pas un sceptre ou un bâton de pèlerin, mais bien avec une pelle !


En redescendant la Muddy Pass en direction de Walden, je croise des randonneurs, guêtres aux pieds, sac au dos et poils au menton. J'aborde le troisième, intéressé que je suis dans leur expédition, car après tout, on partage la même passion de s'auto-propulser sans moteur. Comme je m'en doutais, ils sont partis de la frontière du Mexique et parcourent, depuis quelques mois déjà, le sentier balisé qui suit la Continental Divide. On échange sur les pratiques ultralégères et on fait l'éloge du voyage en plein air. Avant de partir, je lui dis qu'il est presque rendu à la Muddy Pass, il ne reste que 5 milles de montée. Après quelques coups de pédales, je réalise qu'il en a pour plus d'une heure avant de franchir ce que je viens de dévaler en dix minutes. On partage la même passion, mais pas à la même vitesse.


Les montagnes enneigées demeurent à l'horizon, mais les buttes environnantes s'aplanissent de plus en plus et ça roule très bien. Je retire les vêtements d'appoint, la température ayant atteint la vingtaine de degrés. J'arrive à Walden au centième km vers 11:30 en même temps que plusieurs motocyclistes et un autobus de non-voyants qui remplissent le Antlers Inn Cafe. Malgré cette foule, j'ai quand même réussi à repartir de là bien repu en moins d'une heure.


Après avoir rencontré deux jeunes dans la soixantaine, je glisse doucement vers la frontière du Wyoming. Ces zones frontières sont de véritables no man's land. Rien, personne, le vide total. Sous l'affiche souhaitant la bienvenue dans l'état, j'ai pris une pause en m'étonnant du silence incroyable qui régnait. En fait, il n'y avait que le bzz bzz des mouches pour briser le silence et finalement me faire sacrer le camp. Des taons, des mouches à chevreuil, des moustiques, c'est du sérieux.


5 milles plus loin, un couple de la Grande-Bretagne, Ryan et Carly, m'épatent avec leurs drôles de vélos de montagne achetés en Orégon. La roue arrière est décalée comme pour se substituer à une roue de trailer. Grand empattement, chargement plus bas, freins à disques, c'est bien pensé. Ils me préviennent de me prémunir de chasse-moustiques pour le reste de la route. Moi, je pense que le meilleur chasse-moustiques, c'est de pédaler plus vite que ces bestioles.


Avez-vous vu le film québécois "Le Vent du Wyoming" ? C'est un film de André Forcier. Un film d'auteur. Probablement la mise sur pellicule des rêves décousus du réalisateur montés dans un ordre que lui seul peut décoder. On se demande à la sortie du cinéma si le projectionniste a mis les bobines dans le bon ordre. Je suis un adepte de David Lynch (Mulholland Drive) un grand-maître du scénario qui s'enroule sur lui-même, j'ai vu Blade Runner sans narration (un vrai casse-tête), mais Le Vent du Wyoming, je n'y ai rien compris et tant qu'à moi, vous pouvez le laisser sur la tablette du club vidéo.


À 16:15, après quelques bonnes pentes sous un ciel qui s'ennuage et un dernier 5 km de vent du Kansas, je suis arrivé au camping Lazy Acres avec ses quelques unités de motel qui font honte à Bob d'hier soir. Très beau camping, accueil chaleureux dans un micro-village avec deux restaurants qui se sont adaptés au goût des cyclistes en ajoutant des pâtes et des fruits frais à leur menu.


Le Wyoming, un nouvel état à découvrir que je vais traverser dans un axe nord-ouest jusqu'au parc de Yellowstone. Les villes avec services sont très éloignées et m'exigeront beaucoup de planification. De petits défis dans un paysage grandiose qui laissera sûrement un meilleur souvenir qu'un certain film de répertoire. Vent du Wyoming.


41.2172, -106.7764

mardi 15 juillet 2008

Jour 32: Qui Perd Gagne

93 km. Cum: 4662 km.


Kremmling, CO - Deux bonnes raisons de se lever tard: Le déjeuner dans ce B&B est servi à partir de 8:30 et à 6:00, il faisait seulement 6 C. Je ne suis pas allé vérifier, car je dormais encore à cette heure, mais je me dis que la chaîne météo doit avoir de bons thermomètres. Il y a aussi qu'hier soir, malgré mon arrivée tardive, je me suis gâté un peu. J'ai demandé à Andy, ce british qui tient le B&B, de me conseiller une bonne table. C'est risqué de demander ça à un Britannique, mais je n'ai pas été déçu. Chez Modis, j'ai pu avoir un bon potage, un plat de pâtes avec des fruits de mer et des asperges grillées. Très classe. Je me suis même permis un verre de Bourgogne. Oubliez l'image du grand explorateur frugal se contentant de pas grand chose, je suis un bourgeois de la pire espèce se vautrant dans le café trop cher, préférant son rouge servi dans un verre en cristal, pensant que la bouffe est meilleure dans de la vaisselle blanche. Comme Monia me dit souvent quand on voyage, je suis une poulette de luxe. Mais à trois portes de Modis, au comptoir dessert, j'avais plutôt l'air d'un goinfre dévorant ma tarte aux pommes crème-glacée...


Ce matin, j'étais donc radieux de retour dans mon habit d'itinérant en polyester. Une table bien remplie pour le petit-déjeuner. Deux randonneurs, un couple de l'Arkansas et surprise, un autre cycliste, Steve de Philadelphie, qui s'en va vers l'Est. Je classifie à ma façon les cyclistes que je rencontre: ceux avec qui je roulerais et les autres. Steve fait partie des autres. Je sens qu'il fait ça comme une corvée, n'a rien de positif à dire de ce privilège de rouler l'Amérique et en plus, il commence à parler au chien pendant que je lui donne de l'information précieuse sur la route qui l'attend. Je pense qu'il est frustré que je roule aussi léger, alors qu'il doit être le plus chargé de tous ceux que j'ai vu. Pas grave, le sourire des autres convives est contagieux.


Départ à 9:45, sur la superbe piste cyclable qui permet de découvrir le superbe paysage environnant aux abords de cette superbe ville. Je prends des embranchements au hasard pour allonger la route et m'imprégner le plus possible de cette beauté. Ça roule facile facile jusqu'à Frisco, un autre centre d'achat en plein air. Leur réseau cyclable est une merveille de l'urbanisme moderne. Je me trompe de chemin presque par exprès. Je longe ensuite le réservoir Dillon qui ajoute un plan d'eau au panorama déjà déboulonnant. Je prends autant de temps qu'hier à faire 20 km, mais c'est parce que j'ai constamment le menton qui traîne par terre et le kodak sorti. Je finis par aboutir à la route 9 qui me mènera à Kremmling tranquillement pas vite.


Parti de 2860 m, la route descend très graduellement, ce qui repose les muscles mis à l'épreuve hier, mais il faut quand même y mettre du sien avec un fort vent du nord. Je croise quelques cyclistes, mais la circulation m'empêche de les intercepter. Plus loin, je peux jaser avec Todd de San Francisco qui va vers l'Est. Détendu, son stock un peu tout croche, mais très léger quand même avec aucune sacoche à l'avant. Je roulerais avec lui n'importe quand.


Avant Heeney, un couple avec des trailers identiques fait la pause. Je reconnais ceux que le fil de presse de la route m'avait promis de dépasser, Jerry et Lynn de l'Illinois. Jerry a participé à la 4e saison de "The Biggest Loser" (Qui Perd Gagne doublé en français à TVA). Cette émission est une téléréalité dans laquelle des obèses de compétition doivent perdre le plus de poids possible. C'est évidemment enrobé de rivalités, de jeux d'influence et d'épreuves d'habileté parfois gênantes. Monia et moi nous sommes abrutis quelques fois en regardant ça. Non, mais c'est d'un certain intérêt professionnel pour une physiothérapeute... Jerry est très volubile comparé à Lynn qui est peu loquace. Sympathique, rieur et expansif, il a une gueule de vendeur d'IBM. Je vais sûrement partager mon repas avec eux ce soir.


Avant d'arriver à Kremmling (2200 m), j'ai franchi la rivière Colorado, celle-là même qui trouve son lit au fond du Grand Canyon qui est ici moins large que la rivière Cabano. J'ai aussi fait fi de l'indication vers Granby à 27 milles de Kremmling. C'est aujourd'hui l'anniversaire de Chantal Marquis une fidèle lectrice de St-Louis-du-Ha!-Ha! C'est un peu ma belle-mère, ce qui ajoute à ma bonne étoile. Ouais, St-Louis, Cabano, Granby, ça commence à faire une trotte d'ici.


C'est peut-être le vent du Kansas qui m'a dompté, mais il me semble que je suis plus zen depuis quelques jours, prenant chaque jour comme il vient, évitant de trop planifier, les éléments naturels pouvant chambouler n'importe quel bon plan. En tout cas, je suis encore sur mon high d'hier et je suis obnubilé par le grandiose des Rocheuses. Vent de beauté.


40.0586, -106.3953

Jour 31: I'm so happy

158 km. Cum: 4569 km.


Breckenridge, CO - Ça s'annonçait pour être toute une journée. Une initiation sans pitié aux Rocheuses, rien de moins. Comme je m'étais prélassé hier, je pouvais me permettre un départ très tôt. Je me suis levé avant le soleil, j'ai déjeuné à la chambre et j'ai mis les voiles à 6:00.


Déjà en commençant, je touche presque 2000m avant le 10e km, parti d'une altitude de 1680m. Il fait très beau et le paysage est époustouflant avec le soleil qui est encore bas. Je redescends un peu et je croise un cycliste qui a déjà une trentaine de km aux fesses. Il partage mon aversion des descentes dans les périodes de montée, cette impression d'avoir grimpé pour rien. Aujourd'hui, c'est plus pertinent que jamais, car mon objectif est de franchir le col d'Hoosier à plus de 3500m. Ainsi, tant que je n'ai pas atteint le point culminant, chaque 50m de descente se traduit nécessairement par 50m à remonter.


Alors aujourd'hui ce n'est ni la vitesse, ni la distance, ni la carte qui m'intéressent et c'est pourquoi je suis resté sur la fonction altimètre du GPS toute la journée. À chaque nouveau palier de 100m d'altitude, je me suis accordé une pause. Le paysage récompense l'effort de chacun de ces crans au centuple. À midi, donc six longues heures après le départ, j'arrive à Hartsel, à 90 km seulement du départ, à 2700m d'altitude.


Après une bonne pause, je me mets en route pour Fairplay, 30 km plus loin. Une large plaine venteuse me rappelle le Kansas, à la différence que l'horizon est tout en relief. Le vent est du nord et me fait des misères. À 2900m, un éclair déchire le ciel à quelques km devant moi. Je ne fais ni un ni deux et tourne à la fermette sur la gauche où je m'abrite dans un des bâtiments. La propriétaire arrive en voiture 5 minutes plus tard et comprend immédiatement ce que je fais là, car elle a perdu son fils il y a deux ans, foudroyé pendant son jogging en montagne. Moi-même un coureur, la drôle de coïncidence me fait plier les genoux. Elle m'invite à m'abriter sous le porche le temps qu'il faudra. On discute du coq à l'âne, des patrons d'orage, du vent et du climat local. Ses photos du dernier hiver sont impressionnantes.


Je repars après 45 minutes figurant que les nuages sont maintenant inoffensifs, mais à 10 minutes de Fairplay, je me fais poivrer pas à peu près, vent en prime, mais avec congé de tonnerre. À Fairplay, le soleil sort, je range mon jacket, prends une collation et à 15:50, je m'attaque aux 500m de grimpe qui reste. Je commence par passer à Alma, qui me colle la chanson "La Traversée du Lac St-Jean" des Colocs dans la caboche pour un bon bout de la montée. Plus loin, une affiche indique le sommet du col Hoosier à 4 milles. 3200, 3300, 3400... 3500m. Voilà le point culminant de toute ma route. L'altitude, la fatigue, la fierté d'avoir gravi 2000m aujourd'hui, je pleure de joie. Il n'y a que la pièce de Sting qui me tourne dans la tête "I'm so happy, can't stop crying...". Il s'est mis à pleuvoir de nouveau juste avant que j'arrive, il n'y a personne pour me photographier, mais ce n'est rien pour stopper mon euphorie. J'ai remis mon jacket et me suis lancé, à 17:15 dans la descente de 17 km jusqu'à Breckenridge.


Sting s'est fermé la gueule assez vite merci. Les premiers lacets sont vertigineux et demandent toute ma concentration. Après une pause pour me reposer les doigts, la pluie prend de la force et c'est un déluge qui s'abat avec le tonnerre qui gronde dans les sommets enneigés qui m'entourent. Je suis rapidement transi par le froid, mais je me dis qu'à 50 km/h, ce sera vite passé. Une voie en construction m'oblige à m'arrêter. Ce n'est jamais long, le signaleur me rassure, mais au final, c'est pendant 10 bonnes minutes que je me fais lavé sur place. Il pleut comme dans un film. Croyant repartir à chaque instant, je n'ai pas profité de ce moment pour ajouter des couches de vêtements et c,est alors complètement gelé, grelottant et frissonnant que je contemple Breckenridge à mon arrivée. Mélange de Bromont, Stowe et Mont Tremblant, ce n'est pas évident de trouver de l'hébergement abordable. J'opte pour le B&B conseillé par le seul cycliste que j'ai croisé ce matin.


Un col conquis par l'endurance, une descente vertigineuse, du vent, un orage esquivé, de la pluie torrentielle, un froid de canard, cette journée résume le voyage au complet. Il y a un cycliste un peu fatigué ce soir au Fountain Inn B&B, mais il est joyeux et Sting joue à pleine tête dans ses oreilles. Vent d'euphorie.


39.4832, -106.0438

dimanche 13 juillet 2008

Jour 30: Un p'tit dimanche

72 km. Cum: 4411 km.


Cañon City, CO - Après avoir bien étudié la carte et fait quelques recherches, Fairplay n'a pas grand-chose à offrir côté services et faire escale à cet endroit me placerait dans une séquence de trous perdus. Alors, aujourd'hui on prend ça relaxe et on roule tranquillement jusqu'à Cañon City, situé à une quarantaine de milles à l'ouest.


Encore faut-il sortir de Pueblo. Petite surprise ce matin, je n'ai pas copié l'itinéraire entre ici et le Wyoming dans mon GPS. J'ai dû réviser ça 20 fois avant de partir de Bromont, mais je n'ai pas ce bout-ci. Ce n'est pas si grave, car le GPS comprend toutes les cartes détaillées et dans un autre document, j'ai la liste des villes principales. Il reste à jouer à joindre ces points.


Ainsi donc, je choisis un point sur la route 50 à la limite ouest de Pueblo et je demande au GPS de m'amener là. J'aurais pu m'y rendre au pif, mais je décide de suivre aveuglément les indications et je me retrouve dans un dédale de rues barrées sur le campus d'un pénitencier. Encore des prisonniers ! Ceux qui croient aux signes doivent être convaincus que je vais terminer ce voyage en prison. Le GPS connaît trop de routes et comme je le dis souvent: trop c'est comme pas assez. Le comble c'est quand j'assiste à la sortie des détenus, séparés d'eux que par une clôture Frost et trois rouleaux de barbelés. Tous me dévisagent, probablement envieux devant cette vision de liberté totale incarnée par un cycliste itinérant. Comme si ce n'était pas assez, j'aboutis dans un cul-de-sac et je suis forcé de repasser devant eux. Je n'ai pas eu le culot de leur demander comment m'évader de là...


C'est mon pif qui m'a finalement permis de trouver l'accès à la route 50. Petit à petit, je m'approche de la chaîne de montagne qui devient de plus en plus nette. Quand je dois m'arrêter à une intersection, il y a de petits chiens de prairie qui se sauvent à leur terrier quand je sors l'appareil-photo.


J'arrive à Cañon City à 11:00 et roule tranquillement le long du boulevard pour trouver le motel le mieux situé. J'ai trouvé le très sympathique Colorado Inn. Je suis allé faire mes commissions en vélo et après la douche et le lunch, je suis parti à pied découvrir la ville. Sur la pittoresque Main St, tout est fermé, car c'est dimanche. Chez-nous, c'est surtout le week-end que les Main St champêtres fonctionnent, faut croire qu'ici c'est le contraire. J'ai alors acheté un billet pour le train qui circule dans la Royal Gorge de la rivière Arkansas et en attendant le départ de 15:30, je me suis détendu en dégustant une glace avec un premier café latte depuis longtemps. Malgré tous ces km jour après jour, je n'ai pas oublié comment me dorloter.


La balade en train a vraiment valu le coup. Une ligne de chemin de fer dans un canyon étroit au bord de la rivière Arkansas. Bâtie en 1879, c'est une merveille de l'ingénierie comme diraient les Chinois. En plus d'admirer le canyon, ses nombreux méandres et le plus haut pont suspendu au monde (inaccessible aux vélos), on peut observer rafteurs et kayakistes qui bravent les rapides classe 5. J'ai bien aimé et je me suis fait aller le kodak.


Demain, si ça va comme prévu, je vais franchir le col Hoosier (3517 mètres /11542 pieds) qui constitue le plus haut point de la TransAmerica Trail. Vent d'altitude.


38.4435, -105.2328

Jour 29: Énergie éolienne

202 km. Cum: 4339 km.


Pueblo, CO - D'abord, je dois ajouter à ma critique de motels. Econo Lodge ne fait vraiment pas de contrôle qualité. Hier, je n'ai pas eu d'eau chaude et plus d'eau du tout une partie de la journée et ce fut au tour de mes amis français plus tard d'avoir un problème du genre. Ce sont des problèmes techniques mineurs, comparé à l'air bête inacceptable de celle qui s'occupe du déjeuner continental. Vous auriez dû entendre le soupir d'exaspération quand Jacques a demandé une cuillère pour manger ses céréales. Bref, n'importe quel zonzon peut avoir la bannière Econo Lodge...


Ce que le vent prend, il le redonne. Aujourd'hui, j'ai carburé à l'éolien. Vent du Nord-est de 10 à 20 milles à l'heure. C'était presque comme faire de la moto, surtout le matin alors que je roulais vers le Sud-ouest. J'ai fait un 10 km en 18:01 sans mérite, juste en donnant deux ou trois coups de pédales de temps en temps et me levant debout comme pour faire une voile de mon corps. Quel beau feeling après deux jours de vent de gueule. Selon Jacques, "vent de gueule" est un italianisme. En France, on dit "vent de poire". Cependant, pour le vent contraire, universellement, c'est "vent de cul".


Ce matin, le paysage me faisait encore penser à l'alti-désert californien avec sa terre sèche et sa végétation chétive. Tout comme sur la route jusqu'à Eads, c'est l'absence qui domine. Des poteaux électriques, deux rails, du bétail lointain de temps en temps, l'horizon vierge, c'est tout ce qui meuble l'espace visuel sous un ciel envahissant. Dans un tel vide, celui qui n'est pas en paix avec soi-même passe sûrement un mauvais quart d'heure. Moi, le vent dans le dos, cette vacuité initiatique me saoule carrément, j'ai la conscience tranquille.


J'ai passé à Haswell où il y a la plus petite prison du pays et à Sugar City où ils ne donnent pas de sucre aux moustiques, car ils ont failli me bouffer complet avant que j'ai terminé ma collation. Je vous jure, douze à la fois. À Ordway, j'ai pris une pause dîner alors que j'avais déjà plus de 100 km de fait sans effort.


Le reste de la route vers Pueblo s'est déroulée très rapidement. Petit à petit, on voit se dessiner une ligne de montagne qui annonce les Rocheuses. Pueblo est une ville moyenne à 1500 mètres d'altitude. Arrivé là, j'ai trouvé un motel situé dans le centre et aussitôt enregistré, je suis reparti avec Cannondale vers la boutique de vélo que j'avais trouvé dans les pages jaunes hier. Plus de 5 km plus loin, je me rends compte que ça n'existe plus, malgré le quart de page de publicité dans l'annuaire. Le GPS me dirige vers Tom Sporting Goods encore 2 km plus loin, mais il y a du contreplaqué dans les fenêtres. Retour vers le centre où un gars en vélo de montagne me donne les indications pour LA boutique de vélo. C'est à deux pas de mon motel &*#$!&*...


La mécano est très efficace. Elle mesure ma chaîne, ce qui signe son arrêt de mort. Après l'installation de la nouvelle, je vais faire un test pour m'assurer que mon jeu de pignons ne rejette pas la greffe, mais quelques bonnes côtes me rassure que ça ira très bien. Malgré que l'heure de fermeture soit passée, elle accepte de démonter mon pneu arrière pour que j'aie le cœur net de cette crevaison lente qui me titille depuis trois jours. Elle change le fond de jante par quelque chose de plus sérieux et me trouve un pneu Armadillo, qui selon Mister Phil, est le roi des longues randonnées. De toute façon, 3000 km pour un pneu de vélo, c'était déjà bon. J'ai refait le plein de tubes et de cartouches de CO2, me voilà rassuré pour un autre 4000 km.


Ce fut toute une journée, et demain, avec le vent du Sud-est, ce sera probablement similaire, car Fairplay semble être ma seule alternative côté logement.


Avant d'arriver à Pueblo, j'ai rencontré un drôle de moineau. Steve du Maryland qui va aussi vers l'Ouest et qui fumait une cigarette quand je suis arrêté lui parler. Il se lève tôt, mais part rarement avant 10:00, car il colle au déjeuner en buvant un dernier café et en en fumant une p'tite dernière. Il a changé de selle en cours de route, il a encore mal au derrière, mais il porte un bermuda. Peut-être qu'un cuissard mon Steve, ça te coûterait moins cher de selles... Toujours de bonne humeur, il finit toutes ses phrases en riant. Il a déjà rencontré les Français ainsi que Dave et Belinda. En voyageant tous sur la même route, on s'informe des autres qu'on a vu avant et de ceux qu'on va rencontrer. Les nouvelles voyagent. Tous ces vélos pourraient remplacer le Pony Express.


Au rayon des rencontres, il y a aussi Jack qui roule vers l'Est. Jack avait commencé avec son fils, mais ce dernier a dû abandonner après deux jours, victime d'une tendinite. Il a alors acheté une voiture usagée et permet à son père de voyager léger en suivant avec les bagages. Jack est directeur de recherche sur le cancer en Virginie et dédie sa traversée à son ami Jim décédé du cancer à 45 ans l'an passé. (www.rideforjim.org). Tout comme moi, Jack trouve qu'un tel périple est un moyen génial de célébrer le privilège qu'on a de pouvoir le faire. Son ami Jim ne l'a pas eu. Souhaitons qu'on élimine un jour ce fléau. Vent d'espoir.


38.2743, -104.6065