dimanche 17 août 2008

Jour 64: L'Alberta juste sur une roue.

155 km (+ 369). Cum: 9088 km.


Maple Creek, SK - Un déjeuner, un litre de Gatorade et deux Power-bars, me voilà déjà moins riche de 26$. À 8:45, je quitte Banff sous un soleil radieux. Je suis un peu fébrile regardant à l'arrière plus souvent qu'à l'habitude. Mon miroir de casque est resté dans le fossé lors de l'accident et aucune boutique de vélo locale n'avait ce type de miroir en stock. Soit dit en passant, les boutiques de vélo de Banff sont vraiment nulles. On ne cherche qu'à louer des vélos et vendre du prêt à porter aux touristes. Je me suis résigné à installer un miroir de guidon. C'est de la camelote et ça ne garde pas sa position.


Sur la grand-route, j'essaie de me raisonner. Lors de l'accident, j'ai vu le camion de près dans mon miroir et je n'ai rien pu faire. Je suis aussi prudent là que lors des 9000 premiers km, alors je devrais continuer comme avant. Ce genre de crainte est normale et m'occupe l'esprit pour une bonne partie de la route jusqu'à ce que l'histoire que mon frère évoque dans un commentaire me remémore une autre plonge d'enfance dans la rue de la Gare. On coursait, j'ai perdu le contrôle et j'ai fini à plat ventre en pleurs dans une flaque d'eau. Mon frère qui avait déjà les réflexes paramédicaux: - "Où est-ce que t'as mal ?". - "À nulle part ! Chu tout sale !". Cette histoire ridicule m'a fait rire et a chassé un peu de cette petite paranoïa qui fait de chaque voiture un prédateur sur quatre roues.


Je me suis éventuellement rendu compte que les montagnes avaient disparues et que j'étais de retour dans la prairie. Avant d'entrer dans l'agglomération de Calgary, je peux voir le drapeau olympique qui flotte au site des jeux de 1988. Je fais une première pause en face de ces rampes de lancement de sauts à ski avec 120 km au compteur.


Je traverse ensuite Calgary dans sa partie nord au milieu d'une circulation lourde. Ce n'est jamais évident autour de ces grandes villes et ici, un guide serait très utile. Il y a sûrement de l'argent à faire avec un topo-guide de la traversée du Canada. Je réussis à m'extirper de ces grands boulevards étriqués, de la construction, des bouts frénétiques de Transcanadienne et de voies alternatives pour trouver la tranquillité dans Chestermere au bord d'un lac où plusieurs plaisanciers profitent de ce samedi. Je retrouve plus loin la Transcanadienne et son accotement. À 20 km de ma destination (Strathmore), une crevaison... ...en fait deux crevaisons.


Je devine la première crevaison par la conduite zigzagante de mon pneu arrière mou. Je n'arrête pas immédiatement, la tête penchée, j'essaie de voir si le pneu s'aplatit sous mon poids et là je roule sur ce qui devait être un débris coupant bien effilé à la mauvaise place au mauvais moment. Plus de doute, là, le pneu est plat. Je couche le vélo dans l'herbe, démonte la roue, trouve la cause de la première, un genre de petite broche pointue et constate le dégât de la deuxième: une fente bord en bord d'un bon centimètre en plein centre de la surface de roulement. Leçon importante: Quand tu doutes que tu as une crevaison, freine immédiatement. Le pneu mou est encore plus vulnérable.


À Banff, j'avais considéré profiter de l'arrêt pour changer mes pneus. Ils étaient dus: Plus de 4000 km à l'arrière et près de 8000 à l'avant. Comme aucune boutique n'avait ma taille de pneu en inventaire, je me suis dit que j'attendrais à Calgary ou Medecine Hat. C'est l'heure du duct-tape. Je suis cependant très sceptique que ça tiendra la route longtemps, mais 20 km en roulant debout en priant pour qu'il y ait une boutique de vélo à Strathmore, ça devrait aller. Je perce le premier tube en rejantant. Je perce le deuxième et réalise que mes leviers de pneus commencent à être rognés en me piquant dessus. Merde ! Je sors mon coupe-ongle et utilise la lime à ongles intégrée pour aplanir la partie coupante...


J'étais en train de perdre mon calme assis dans l'herbe essayant de rejanter sans utiliser les leviers quand j'entends quelqu'un qui marche vers moi me demandant si j'ai besoin d'aide. Je lui explique l'affaire et en cinq secondes on en vient à bout. Suffisait que j'aie quelqu'un pour tenir la roue. En voyant mon pneu, Jason n'est pas très optimiste et j'avoue que moi non plus. Il me confirme que Strathmore est dépourvu de boutique de vélo, mais il peut m'y déposer si je veux. Il revient de Calgary où son vol vers l'Ontario a été annulé. Il retourne chez lui à Maple Creek, peut embarquer mon vélo et me déposer où je veux en direction Est. C'est samedi soir, passé cinq heures, Jason est pharmacien, mais aussi associé dans une boutique de vélo à Maple Creek. C'est loin, mais il a des pneus, Kevin le mécano va rentrer à l'atelier s'il l'appelle, sa femme travaille de toute façon et puis tu serais prêt à repartir demain. C'est comme je veux. Ça veut dire que le reste de l'Alberta sera derrière, Maple Creek étant tout juste à l'intérieur de la frontière de la Saskatchewan.


Je n'ai pas pensé longtemps. Mon pneu est un désastre. Nous avons embarqué le vélo dans sa fourgonnette derrière son propre vélo prêt à voler dans sa boîte, car il veut faire un triathlon en Ontario. Nous avons passé Strathmore et je me suis dit que je me mordrais les doigts d'être pris un dimanche au milieu de la prairie avec un pneu éventré alors que j'ai eu la chance d'avoir un propriétaire de boutique de vélo assez malchanceux pour manquer son vol, assez aimable pour me porter secours et assez généreux pour m'ouvrir les portes de sa boutique un samedi soir. S'il faut juste rayer trois cent quelques km de mon itinéraire pour saisir cette chance, j'accepte son offre d'aller à Maple Creek.


300 km à jaser de nos vies respectives, apprécier le coucher de soleil et le lever de la pleine lune. Nous avons ramassé notre souper chez Wendy's et nous sommes arrivés à la boutique (Cypress Cycle http://www.cypresscycle.com ) vers 21:00. Kevin et son fils de neuf ans Quinlan était déjà là. Kevin m'a expliqué comment rejanter un pneu sans leviers, a changé mes deux pneus et resserré mon headset qui avait un peu de jeu. Jason a décidé de ne pas emporter son vélo en Ontario (car il retourne à l'aéroport de Calgary demain, sa famille l'attend pour débuter les vacances à London) et le remonte pendant que Kevin règle mon cas. Jason m'a trouvé une chambre de motel, car j'ai refusé de dormir chez-lui trouvant qu'il en avait déjà assez fait. Kevin et Quinlan m'ont escorté à la noirceur jusqu'au motel.


Les journées commencent et on ne peut jamais savoir comment elles vont finir. Je commence à croire que l'Alberta ne veut pas de moi. 155 km, c'est tout ce que j'ai réussi à y rouler. Soit, ces derniers jours mes infortunes ont pris des tournants favorables qui défient toutes les lois de probabilité. C'est comme si un ange faisait un pied de nez à ma mécréance. Vent de chance.


49.9088, -109.4796

4 commentaires:

Unknown a dit...

Je suis méfiante et j'hésite à offrir de l'aide à un inconnu. C'est une bonne leçon.

Anonyme a dit...

Éric, tu as bien fait d'accepter l'offre, quitte à sacrifier 300 Km.

Çà me fait penser à l'histoire du curé qui se retrouve pris sur un toit avec quelques fidèles lors d'une inondation. Une chaloupe passe, les fidèles disent au curé d'embarquer, mais il réplique : non allez-y, le Seigneur va s'occuper de me sauver, plus tard, un hélicoptère arrive et encore le curé passe son tour, disant que le Seigneur va le sauver. Finalement, tout le monde sauf le curé a été récupéré et l'eau continue de monter. Le curé se noie et arrive devant son créateur et lui dit : Seigneur, j'avais confiance en toi...pourquoi ne m'as-tu pas sauvé ? Et le Seigneur de répliquer: Ben écoute chose...je t'ai envoyé une chaloupe et un hélicoptère, qu'essé que tu voulais de plus ?

Famille Beaulieu a dit...

Éric, ça me rappelle un bout de ton histoire passée, avec la traversée des Rocheuses du Mexique au Canada... tu me connais, et effectivement, j'aime bien l'histoire d'anomyme.. Je crois que le bon Dieu aiguillonne la bonne volonté des gens pour aider les autres. Vent de confiance !

Unknown a dit...

Ben d'accord avec Anonyme.

Son curé devait être parent avec celui qui disait: Regardez les oiseaux du ciel, ils ne sèment ni ne moisonnent...

Il y avait toujours quelqu'un pour lui réponde: As-tu vu ce qu'ils mangent aussi?!

Vent de coopération