jeudi 14 août 2008

Jour 62: Prendre une "ride"

42 km (+ 98). Cum: 8933 km.


Banff, AB - Après ma plus longue journée en kilométrage, je suis bien tombé pour mon souper d'hier soir. Un plat à base de quinoa, c'est très rare qu'on trouve ça au restaurant, surtout avec un steak de thon grillé convenablement. C'était dans la catégorie "faisons-nous plaisir".


Ce matin, levé à sept heures, je règle d'abord le cas de l'hébergement en me résignant à réserver à Banff, Canmore ne représentant pas de réelle économie. C'est cher, en saison touristique, mais il faut bien que je dorme quelque part. Je réalise depuis Victoria que tout est plus cher au Canada. Le Gatorade est le double du prix et pour le prix d'un motel de bord de chemin ici, on peut trouver une très bonne chambre dans un hôtel d'une chaîne reconnue aux USA. Nos filets sociaux et notre système de taxation se répercutent dans les prix. Il faut juste espérer que tout cet argent est utilisé à bon escient. Difficile d'écrire ça sans rire. Disons qu'il y a encore beaucoup d'imperfections dans le système.


Je suis parti à neuf heures quinze après un bon déjeuner. Il n'y a pas de presse. Le plan est simple. Je vais grimper le col du Kicking Horse sur 70 km pour me retrouver à Lake Louise en Alberta. De là, je longerai les glaciers jusqu'à Banff. Rapidement, je me retrouve à 1000m après quelques belles pentes à 6% dès la sortie de Golden. Je suis aussi lent qu'hier, le panorama me forçant à des arrêts contemplatifs. La route reste autour de 1000m pour plusieurs km, quelques petites bosses à grimper qui redescendent rapidement.


Au 42e km, comme on dit en bon québécois, je prends une maudite ride. Bien au centre du large accotement, j'aperçois dans mon miroir un camion-remorque comme j'en ai vu des milliers depuis mon départ, c'est juste que celui-ci est bougrement prooooooche ! Le chauffeur du poids-lourd cherchant son paquet de cigarettes à ses pieds a réalisé un peu tard que son véhicule dérivait sur la droite et quand il m'a vu à la dernière seconde, il a donné un coup de roue réussissant à remettre le tracteur sur le droit chemin, mais c'est la remorque qui m'a frappé la fesse gauche pour m'expédier illico dans le fossé...


J'ai eu le temps de penser que mon heure était arrivée. J'ai fait un over-the-bar, ne me suis pas cogné la tête, n'ai pas perdu conscience, mais le choc m'a gardé au tapis quelques minutes. Mon premier réflexe après avoir compris que le film de ma vie n'allait pas défiler devant mes yeux, ce fut de faire bouger mes jambes. Un couple (Rudy & Judy) est accouru rapidement. Me couvrir, m'abreuver, me parler, essayer d'appeler le 911 (sans succès), rapailler mes affaires, ils ont tout fait. Dave, le camionneur pensait qu'il m'avait tué, il était sous le choc, faisant aussi son possible pour me remettre sur pied.


Étourdi et sur le bord du chemin à 4000 km de chez-nous, mon prochain réflexe est de m'assurer de n'avoir rien perdu. Je vois passer Rudy avec des Ziplocs, des câbles, ma carte SD qui contient des centaines de photos. La sacoche sur le beamrack a partiellement absorbé le choc et le compartiment principal en est complètement déchiré, l'armature interne cassée, ce qui explique que mes trucs ont volé aux quatre vents. On a tout retrouvé. Le rack et le vélo sont intacts et en état de marche.


Après quelques essais, j'ai réussi à me lever debout, constatant outre les éraflures, une douleur en haut de la fesse gauche. Judy constata aussi que j'avais les fesses à l'air, l'arrière de mon cuissard n'ayant pas résisté à la cascade. Dave a installé Cannondale derrière le camion et j'ai pris place sur le siège du passager un peu éberlué de ce qui venait d'arriver. Tout se bouscule si vite.


Nous sommes partis vers l'est, Dave se perdant en excuse et m'expliquant comment il a vu (ou pas vu) tout ça. La réaction de rage et de rancune est une évidence quand nous imaginons que ça nous arrive, mais 15 minutes après avoir frôlé la mort (suffisait d'une mise en portefeuille ou quelques secondes de plus), on n'est pas du tout dans ce mode. On sympathise avec le chauffeur qui avoue son inattention et on le remercie de s'être arrêté. C'est dans de drôles de circonstances qu'on s'est rencontré, mais Dave est finalement un gars à connaître. J'aurais aimé enregistrer la conversation éclairée qu'on a eue. Personne n'aurait pu deviner qu'il s'agissait d'un dialogue entre un camionneur et un gars qui vient de passer à un cheveu de crever. Il m'a conduit à mon hôtel, m'a offert de l'argent et m'a donné ses coordonnées que je pourrai utiliser, selon ses termes, si jamais je veux le poursuivre et le mettre à la rue. J'ai fini par accepter une de ses chemises propres pour pouvoir me couvrir le derrière avant d'entrer dans l'hôtel. Je me fichais pas mal de montrer mes fesses rendu là...


Après une douche, j'ai visité une clinique médicale. Le docteur Macdonald prescrit de la glace, du Polysporin, de l'ibuprofen et un billet de loterie parce que j'ai de la chance en batince d'être encore debout. J'ai une contusion assez laide sur le derrière et une douleur quand je me lève d'une chaise, c'est tout. J'ai acheté un nouveau cuissard et je prends une journée de repos demain. J'ai parlé à ma douce, à ma mère, je l'écris et je vais probablement en rêver, ça fait partie de l'incident et de la "guérison".


Une déception, quoique bien pâle lorsque mise dans son contexte, c'est d'avoir traversé le Continental Divide et le Columbia Icefields dans un camion au lieu de sur ma bécane. Ce devait être le summum de ce voyage. Mon plus gros casse-tête pour continuer, c'est la destruction de ma sacoche. Son remplacement est introuvable ici et à Calgary; peut-être sur commande, mais ça arriverait dans quatre jours; je vais devoir innover pour transporter mon stock. Je vais dormir la-dessus. Vent de miracle.


51.1801, -115.5702

7 commentaires:

Jean-Luc a dit...

Ouf, t'en as pris toute une, Eric !
Super que tu sois en un seul morceau, pas plus amoché que ça, et que ta bécane soit encore en état de te ramener chez nous. Cette fois-ci le Vent a soufflé de ton côté plus que jamais. Bon repos demain.
Bien hâte de voir ton "innovation" pour la sacoche... oublie pas que le duck-tape est toujours un bon ingrédient...

- JLH

NoFear a dit...

Ouf!
Comme on dit, "t'as le cul bordé de nouilles !!!" sauf qu'ici il est maintenant bordé de polysporin ! J'sens que les gens de l'ouest vont connaître les miracles du duck tape... ils vont voir passer sur sa bécane un gars avec les fesses à l'air (pour aider la guérison c'est toujours mieux de laisser une plaie à l'air libre...)un gros sourire au visage avec une sacoche futuriste (lire ici couleur 'duck tape')sur son rack à vélo....
-
Keep on truckin...biking buddy!
-
Pis ramène ton derrière (même amoché) dans l'Estrie dans un seul morceau!

Take care!

Anonyme a dit...

OMG Eric... fallait bien que ca arrive mausus !! Pas évident du tout de rouler sur la route avec tous les poids lourds s'y trouvant... Je suis bien content que tu t'en sois bien tiré. Profite de ta journée de repos et sois prudent pour le reste du voyage.

Eric Dube

Anonyme a dit...

C'est là que la phrase: Te voilà le cul bénit ! Prend tout son sens mon vieux. Méchante frousse!

On pense à toi!
Wally

Unknown a dit...

Bien heureux que ça finisse bien!

Et comme vaut mieux en rire maintenant, rappelle-toi la fois ou tu avais réussi à faire lever le devant de ton bicycle, tout fier, mais que tu as aperçu la roue avant te quitter sans te dire au revoir...la fouille que tu avais pris...

Pour ce qui est de laisser la plaie à l'air, ne nous force pas, Macaire et moi, à écrire dans les journaux de l'Alberta que nous ne te connaissons pas.
Et que veux-tu, des fois c'est vent de cul, et des fois c'est vent de fesse...à l'air!!

Vent de contentement parce que rien de grave...

Jeepee

Anonyme a dit...

Salut Eric,

Tu as une autre lectrice rivé à tes aventures de vélo depuis le jour 58. Ca m'a glacé le sang de lire que tu as frolé la mort, je dois dire que j'admire ton attitude stoique et les liens créés avec ce camioneur distrait et contrit. J'espère que dès à présent tu surferas allègrement sur le vent d'ouest en est qui te meneras à destination !

IdeS

Anonyme a dit...

Éric, tu ne seras pas le premier Québécois à s'être fait arracher son linge sur le dos par les gens de l'ouest.

Au moins, tu leur a "montré" de quel bois tu te chausses !