samedi 19 juillet 2008

Jour 35: Bourrasser dans la bourrasque

206 km. Cum: 5146 km.


Lander, WY - 6:45, le derrière sur le vélo, 3L de Gatorade sur le dos et la tête un peu anxieuse. Aujourd'hui, aucune option possible, c'est plus de 200 km ou rien. C'est la première fois que je n'ai aucune possibilité d'hébergement sur une aussi grande distance et ce matin, ça me prend un peu la tête.


J'aperçois les Belges sur le dessus de la première côte. Ils ont aussi payé trop cher pour un motel très ordinaire à l'autre bout de la ville. Au moins, j'ai eu droit à un déjeuner respectable, alors qu'eux se sont contenté de beignes et de mauvais café. Ils se rendent à Jeffrey City où ils camperont ce soir. C'est à mi-chemin de ma route, alors je leur souhaite la meilleure des chances et je les largue à plus de 30 km/h poussé par le vent du sud.


La matinée est pur bonheur sur deux roues. 75 km franc-nord avec un vent du sud. Quelques montées facilitées par la poussée du vent toujours suivies par de longues descentes où il faut mettre les freins pour photographier le paysage. J'ai l'impression d'avoir un moteur.


À Muddy Gap, ma route bifurque vers l'ouest. Ça va rondement et mon stress matinal s'est évaporé. Je prends le temps de m'arrêter aux marqueurs historiques qui ponctuent cette portion de la route. Split Rock, un rocher indenté à son sommet, servait de point de repère aux migrants qui empruntaient le Sentier de l'Orégon pour aller s'établir en masse dans l'Ouest. C'était aussi un relais du Pony Express, ce système de courrier à cheval qui fut aboli par l'avènement du télégraphe en 1861. Une crevaison interrompt mes calculs concernant le soi-disant record de William "Buffalo Bill" Cody qui aurait utilisé 21 chevaux pour couvrir à lui seul 322 milles en moins de 24 heures. Ouain. Moi, à 11:30, j'ai déjà 107 km aux fesses, ce qui n'est pas mal considérant la crevaison et mes arrêts touristiques.


Comme je suis à Jeffrey City, j'espère trouver un dépanneur pour refaire le plein. Il n'y a qu'un seul commerce, le Split Rock Bar & Cafe. Ici, on lance le menu aux clients qui osent commander autre chose qu'une bière, Gatorade c'est le nom d'une planète et l'interrupteur pour la lumière des toilettes est à gauche. À gauche, à l'extérieur j'ai dit ! [avec gros soupir d'exaspération maudit cycliste qui va me faire marcher jusqu'à la cuisine et qui voudrait qu'on vende du Gratogade pas capable de prendre une bière comme tout le monde maudit que j'aimerais qu'il n'y ait jamais de clients...] J'ai sorti de là à 12:15 en plaignant les Belges qui vont devoir subir cette experte du service à la clientèle.


Cet intermède a constitué le pont parfait entre ma matinée de rêve et mon après-midi de forçat. Un vent dantesque s'est levé pendant que je mangeais mon sandwich chez la marâtre. Ça souffle Ouest-Sud-Ouest et pas à peu près. C'est une répétition du Kansas, mais en pire, car il y a du relief. Dans les montées, je dois redoubler d'effort si je ne veux pas rester au point mort et tomber sur le côté. Dans les descentes en pente douce, je dois pédaler pour avancer (15 km/h à 6%) et dans les pentes plus fortes, j'ai la chienne que les bourrasques me balancent dans le décor.


Je rencontre un Hollandais en sens inverse qui fait du 40 à l'heure sans se forcer et plus loin, Pierre-Yves, un Français qui troquerait bien son vélo pour le mien, mais pas ma direction. Il a partagé un logement avec un Québécois pendant un an, alors il se fait un plaisir de me montrer qu'il a appris à jurer en bon québécois. Il a alors pu comprendre parfaitement quand je lui ai dit ce que je pensais du vent aujourd'hui. Le paysage est heureusement très gratifiant en réponse à tous ces efforts. Malgré la beauté, la frustration de ne pas pouvoir avancer a pris le dessus à partir du km 150. Je me suis rappelé que Mister Phil m'avait dit être déjà tombé dans le piège de prendre l'affront du vent personnellement. C'est exactement ce que j'ai ressenti, comme si le vent répondait à chacun de mes coups de pédales...


Au km 180, des falaises rouges, un vert inédit dans la végétation et une côte qui ne veut pas se descendre me sont apparus comme une grosse grimace à mon acharnement. Je me suis calmé, la route a fini par crocheter vers le nord et je suis arrivé à 19:10 au motel.


Ce soir, je suis complètement vidé physiquement, c'est la journée la plus difficile à date. Au coeur de cet après-midi en soufflerie, où je me demandais si j'y arriverais, j'ai réalisé une nouvelle fois que ce genre de voyage comporte plusieurs facettes et qu'il faut parfois l'appeler par son vrai nom: Vent d'aventure.


42.8389, -108.7448

4 commentaires:

Famille Beaulieu a dit...

Hey Éric, selon ma compréhension, aujourd'hui, tu as grandi !! :-)
Tu es donc plus fort qu'hier. Lâche-pas.. vent dans l'dos !

Anonyme a dit...

Allo Eric, Léo voulais t'encourager; alors en tant que membre de ton équipe du triathlon, il te chante: Olé o Léo léo léo Go canadiens Go! Ah oui, on a à la bibli. un CD avec ta chanson "Maman c'est toi, la plus belle du monde." On le garde pour toi!!!! Lâche pas!!! Nancy

Anonyme a dit...

Allo Éric, j'ai refait ma tarte au fromage et petits fruits pour laquelle tu avais fait des commentaires sous divers pseudonymes sur le site de recettes du québec, tu en mériterais un gros morceau livré à ta chambre après une si grosse journée. On pense à toi, Isabelle et cie

Eric Garant a dit...

Tu approches de Jackson Hole, un village western typique et un centre de ski génial. Si tu venais qu’a passer par la, je recommande une visite au Million Dollar Cowboy Steakhouse ( les bar stools sont des selles ). Tu salueras les Grand Teton en traversant le parc pour moi. Keep on rollling!!!