dimanche 27 juillet 2008

Jour 43: Pommes de terre Idaho

218 km. Cum: 6313 km.


Kooskia, ID - Je ne pars jamais à l'heure que j'avais prévue et en général c'est parce que je rencontre quelqu'un et que je me mets à jaser. Échanger avec des inconnus, c'est un des aspects les plus intéressants du voyage. Hier les motards, ce matin, c'est Doug sur son recumbent qui s'informe où est la piste cyclable. Il est de la Caroline du Sud, il est parti de Vancouver et retourne chez lui. Il m'a pris pour un résident qui partait pour une petite promenade. Après avoir appris mon itinéraire, Doug me surnomme l'espion, car c'est comme si j'étais déguisé en gars qui s'en va faire un pique-nique alors que je traverse le pays.


Avec tous ces gens qui s'émerveillent de mon approche ultralégère, je serais prêt à ouvrir mon bagage pour leur montrer ma brosse à dent au manche scié, mon seul kit de linge de ville bien compressé et surtout leur faire comprendre qu'à peu près tout ce que j'ai, à part les outils et le matériel d'urgence, me sert à tous les jours. Depuis hier cependant, j'aurais une p'tite gêne à ouvrir mon sac. Comme mon antisudorifique était sur la fin, je suis allé en acheter hier soir. Ma fragrance n'était disponible qu'en format géant que je n'ai jamais vu au Canada. Je l'ai acheté et je me retrouve avec un bâton de désodorisant plus gros que mon iPod et mon cellulaire réunis. À côté de mon manche de brosse à dent coupé, ça fait un peu pitié. Le désodorisant, c'est comme les bobettes: un, ça ne se prête pas et deux, quand t'en as trouvé une sorte qui fait l'affaire, tu rachètes toujours la même chose. Même en format familial...


Parlant de bagages, Mister Phil a croisé un couple en tandem avec un gros trailer. Ils traînent un gros parapluie de golf ! Ironiquement, le seul item inutile que j'ai apporté est un couvre-casque imperméable. Mais qu'est-ce que nous avons les humains à craindre autant la pluie ? Ce n'est que de l'eau...


Je suis parti à sept heures et quart. Ces journées obligatoirement longues me rendent toujours un peu anxieux en partant, mais j'essaie de me raisonner. Dans ce genre de journée, ce n'est pas "Vais-je y arriver ?", mais bien "Quand vais-je arriver ?". Je monte pour 50 km jusqu'à Lolo Pass, à travers la forêt nationale Lolo, le long de la rivière Lolo, au nord du mont Lolo. À un panneau d'interprétation, j'apprends que Lolo vient d'un trappeur canadien-français du nom de Laurence que les indiens appelaient LouLou. Le nom est resté.


Lewis & Clark ont aussi traversé ce col pour descendre vers le Pacifique. Un autre repère historique le long de la route m'apprend que le Président Jefferson qui avait commandé cette expédition à caractère scientifique avait mis en garde les explorateurs pour qu'ils exercent la plus grande prudence en l'occurrence d'une rencontre avec un mastodonte (disparus depuis 10000 ans). L'auteur de la Déclaration d'Indépendance a toujours été reconnu pour exagérer de temps en temps. Ses proches le taquinaient souvent en le surnommant Thomas Jefferson Pel-le-tier. Cordiales salutations à ma belle-famille.


600 mètres d'ascension sur 50 km, ça donne une pente très douce, surtout que les 300 derniers mètres sont concentrés dans les 6 derniers km. Au sommet, on traverse la Continental Divide, on recule l'heure et on entre en Idaho. On s'engage alors dans le canyon sinueux de la rivière Lochsa pour 140 km. Au début, c'est déroutant tellement le gouffre est profond. Sur 8 km escarpé, je teste mes freins constamment, car une fausse manoeuvre et c'est un aller-simple pour l'abime. Les arbres, ces grands pins paratonnerres, sont comme des rangées bien droites de spectateurs dans un amphithéatre à-pic. Ensuite, le chemin s'aplanit pour descendre imperceptiblement suivant les méandres de la rivière. Je fais un arrêt pour me ravitailler au dernier point de service avant 110 km. Un motocycliste curieux me cause. Il travaille en Idaho pour une compagnie d'accessoires pour motos et motoneiges et il est un rare habitant du coin qui peut placer Valcourt sur une carte.


Le reste du trajet jusqu'à Lowell est une succession de virages spectaculaires avec la rivière qui chante et les montagnes escarpées en toile de fond. Je roule entre 25 et 35 km/h au gré de la pente et selon le vent. Soudain, un gros coyote sort du bois juste en avant de moi, il fait contact visuel avec mes lunettes et après avoir touché l'accotement, il bifurque vers le bois sans ralentir. Le sang m'a arrêté. Frapper un coyote à 30 km/h, ça aurait fait toute une trace sur l'asphalte.


À Lowell, un dépanneur tant attendu. Pendant que j'épanche ma soif, un motocycliste qui montre son bolide à un autre décolle son lecteur MP3 et c'est Johnny Halliday qui chante dans ses haut-parleurs. C'est un Belge en vacances. Sa femme est de l'Idaho et il vient faire de la moto avec sa belle famille une fois par année. Ils sont amateurs de Garou et aiment bien Robert Charlebois. On se comprend bien, mais il y a des nuances, comme par exemple, mon voyage doit prendre maximum nonante jours, peut-être quatre-vingt-quelques, mais sûrement pas septante. Il n'y a que les Suisses qui disent octante pour 80.


De Lowell, encore 40 km le long de la rivière Clearwater pour me rendre à Kooskia. À Kooskia à 17:15, je ne trouve pas le B&B que j'ai réservé et personne ne sait c'est où. Je finis par les appeler, je suis leurs indications et me rends compte qu'il n'y a pas d'enseigne. C'est un B&B probablement sans permis formel. Des gens très sympathiques qui me laissent circuler librement dans leur maison.


Tous les états ou presque utilisent la plaque d'immatriculation pour afficher leur identité. C'est parfois poétique comme Je me souviens, quelquefois historique comme l'Illinois: Land of Lincoln, rarement aussi catégorique quele New Hampshire: Live free or Die et la plupart du temps touristique et pittoresque comme le Montana: Big Sky Country. En Idaho, c'est, tenez-vous bien: Famous Potatoes (Célèbres Patates). Tout le monde connait la variété de pommes de terre Idaho, mais de là à mettre ça sur les plaques. Comme pour les noms de villages, ce n'est pas tant le résultat qui m'ébaubit que de savoir que ce genre de décision se prend en assemblée et qu'il n'y ait pas eu une meilleure suggestion...


Je suis fatigué, mais satisfait de cette journée qui s'est étirée d'une heure grâce au changement de fuseau horaire. Ce sera moins chargé demain, mais je reviendrai bizarrement dans l'autre fuseau horaire pour perdre une heure. Vent de Greenwich.


46.1457, -115.9722

2 commentaires:

Unknown a dit...

À la défense des Pelletier. Peut être que nos histoires semblent parfois exagérées mais c'est comme pour toi, les gens peuvent douter que tu voyages si léger et pourtant c'est la vérité!

Anonyme a dit...

Salut Eric !
Bon, enfin je suis rendu à jour dans la lecture de tes chroniques. Ce matin j'ai imprimé les 15 dernières puis suis parti en vélo les lire dans le fond du Parc de la Yamaska... c'est pas Yellowstone ni ta ride, mais c'est fou comme ça mettait en contexte ! Comme si toi tu partais lire la chronique de Réjean Tremblay à l'aréna de Bromont. En résumé, vent d'admiration et de fierté pour toi, cher ami. Et merci de nous emmener avec toi dans ton fou périple et de nous partager ton expérience quotidienne avec autant de détails fascinants.

Un recumbent, c'est VPA, pour Vélo à Position Allongée ! ;)

Là c'est toi qui viens de me mettre une toune dans la tête pour 2 jours: "Ce n'est que de l'eau", chanson de Michel Legrand, que t'as déjà entendue au show des Jazzeries à Bromont. Tant mieux si tu t'en souviens pus ! As-tu emmené Jérôme Minière sur ton ipod ?
Have fun !
- JLH

p.s. Pis, ça goûte quoi des patates Idaho ?