jeudi 17 juillet 2008

Jour 33: Le Vent du Wyoming

181 km. Cum: 4843 km.


Riverside, WY - Je n'ai pas revu Jerry et Lynn hier soir. On aurait dû échanger nos numéros de cell. On avait parlé du Bob's Motel, c'est là que j'ai fait mon nid, mais aussitôt changé, je suis allé m'évacher au Big Shooter Cafe pour une longue pause avec crème-glacée, brownies et café latte. Peut-être ont ils levé le nez sur le Bob's Motel. Pas de A/C, pas d'internet sans-fil. Faute d'avoir partagé un repas avec eux, j'ai l'adresse de leur site web: http://www.jerrylisenby.com


Ce matin, j'ai déjeuné au Moose Cafe. Je suis le premier client à 6:00, un deuxième client finit par se joindre à moi au comptoir. C'est un géologue qui me donne quelques repères pour le Wyoming qui s'en vient. Parlant de Yellowstone, il déplore le manque de budget des Parcs Nationaux dans les 8 dernières années. 8 comme dans 8 années de George W. Bush, ce qui est un bon indice qu'il va voter Démocrate en novembre.


Je suis parti à sept heures habillé jusqu'au cou à 10 degrés C. Quel beau cadeau de pouvoir rouler au petit matin dans ce paysage magnifique: les fleurs, les collines, les montagnes enneigées à l'horizon, les canards dans la mare et même un pélican dans l'étang. Je me suis réchauffé dans la grimpe très gentille menant à Muddy Pass (2600 m). Là, j'ai fait la jasette avec un motocycliste. Après tout, on partage la même passion sur deux roues. Il est parti de Rochester, NY il y a 4 jours. J'ai passé là au Jour 5 de ma route, ça m'a donc pris plus de 25 jours pour me rendre à la même place que lui. On a la même passion, mais pas à la même vitesse...


Petit rappel géographique, la Continental Divide est la ligne de partage des eaux de l'Amérique. Autrement dit, c'est cette crête qui détermine si une goutte de pluie aboutit dans le Pacifique ou l'Atlantique. Il y a deux jours, en franchissant triomphant le col Hoosier, j'ai passé du côté du bassin versant Pacifique. Ce matin, en passant Muddy Pass, je suis de retour côté Atlantique. Si vous m'avez bien suivi, je vais devoir encore traverser la Continental Divide un nombre impair de fois avant de tremper ma roue dans l'Océan Pacifique.


Il y a le même phénomène au Témiscouata, la ligne partageant les eaux se trouvant à St-Honoré. La neige qui fond à l'ouest de ce village alimente le fleuve, alors qu'à l'est, l'eau de fonte termine sa course dans la Baie de Fundy. Je dois franchir ce "col de St-Honoré" chaque fois que je retourne dans mon patelin. D'ailleurs, les abondantes accumulations de neige à cet endroit font partie du folklore régional. Mon père aimait raconter que sur les images saintes distribuées aux enfants sages à la petite école, Saint-Honoré était représenté avec non pas un sceptre ou un bâton de pèlerin, mais bien avec une pelle !


En redescendant la Muddy Pass en direction de Walden, je croise des randonneurs, guêtres aux pieds, sac au dos et poils au menton. J'aborde le troisième, intéressé que je suis dans leur expédition, car après tout, on partage la même passion de s'auto-propulser sans moteur. Comme je m'en doutais, ils sont partis de la frontière du Mexique et parcourent, depuis quelques mois déjà, le sentier balisé qui suit la Continental Divide. On échange sur les pratiques ultralégères et on fait l'éloge du voyage en plein air. Avant de partir, je lui dis qu'il est presque rendu à la Muddy Pass, il ne reste que 5 milles de montée. Après quelques coups de pédales, je réalise qu'il en a pour plus d'une heure avant de franchir ce que je viens de dévaler en dix minutes. On partage la même passion, mais pas à la même vitesse.


Les montagnes enneigées demeurent à l'horizon, mais les buttes environnantes s'aplanissent de plus en plus et ça roule très bien. Je retire les vêtements d'appoint, la température ayant atteint la vingtaine de degrés. J'arrive à Walden au centième km vers 11:30 en même temps que plusieurs motocyclistes et un autobus de non-voyants qui remplissent le Antlers Inn Cafe. Malgré cette foule, j'ai quand même réussi à repartir de là bien repu en moins d'une heure.


Après avoir rencontré deux jeunes dans la soixantaine, je glisse doucement vers la frontière du Wyoming. Ces zones frontières sont de véritables no man's land. Rien, personne, le vide total. Sous l'affiche souhaitant la bienvenue dans l'état, j'ai pris une pause en m'étonnant du silence incroyable qui régnait. En fait, il n'y avait que le bzz bzz des mouches pour briser le silence et finalement me faire sacrer le camp. Des taons, des mouches à chevreuil, des moustiques, c'est du sérieux.


5 milles plus loin, un couple de la Grande-Bretagne, Ryan et Carly, m'épatent avec leurs drôles de vélos de montagne achetés en Orégon. La roue arrière est décalée comme pour se substituer à une roue de trailer. Grand empattement, chargement plus bas, freins à disques, c'est bien pensé. Ils me préviennent de me prémunir de chasse-moustiques pour le reste de la route. Moi, je pense que le meilleur chasse-moustiques, c'est de pédaler plus vite que ces bestioles.


Avez-vous vu le film québécois "Le Vent du Wyoming" ? C'est un film de André Forcier. Un film d'auteur. Probablement la mise sur pellicule des rêves décousus du réalisateur montés dans un ordre que lui seul peut décoder. On se demande à la sortie du cinéma si le projectionniste a mis les bobines dans le bon ordre. Je suis un adepte de David Lynch (Mulholland Drive) un grand-maître du scénario qui s'enroule sur lui-même, j'ai vu Blade Runner sans narration (un vrai casse-tête), mais Le Vent du Wyoming, je n'y ai rien compris et tant qu'à moi, vous pouvez le laisser sur la tablette du club vidéo.


À 16:15, après quelques bonnes pentes sous un ciel qui s'ennuage et un dernier 5 km de vent du Kansas, je suis arrivé au camping Lazy Acres avec ses quelques unités de motel qui font honte à Bob d'hier soir. Très beau camping, accueil chaleureux dans un micro-village avec deux restaurants qui se sont adaptés au goût des cyclistes en ajoutant des pâtes et des fruits frais à leur menu.


Le Wyoming, un nouvel état à découvrir que je vais traverser dans un axe nord-ouest jusqu'au parc de Yellowstone. Les villes avec services sont très éloignées et m'exigeront beaucoup de planification. De petits défis dans un paysage grandiose qui laissera sûrement un meilleur souvenir qu'un certain film de répertoire. Vent du Wyoming.


41.2172, -106.7764

1 commentaire:

Unknown a dit...

Salut Éric,

Juste une précision concernant St-Honoré.Depuis le dernier hiver où nous avons battu des records de précipitation, ils ont modernisé son image: il apparait maintenant au volant d'un souffleur...

Vent d'hiver Ha Ha!