mercredi 2 juillet 2008

Jour 16: Robin des Routes

133 km. Cum: 2418 km.

Marion, KY - Après un déjeuner très continental et un arrêt au dépanneur pour remplir ma besace, j'ai essayé de voir si la piste cyclable derrière le Dairy Queen pouvait m'éviter quelques km de trafic. Un km d'un côté, un km de l'autre, deux demandes infructueuses auprès des marcheurs, on ne sait d'où elle part ni où elle va. J'abdique alors et pique à travers la ville à la boussole afin de rejoindre mon itinéraire qui reprend au sud-ouest de la ville. J'y vais au hasard et prends même un sens unique à l'envers et croyez le ou non, je me retrouve encore en face de ce satané Colonel House Motel. J'ai encore la clé de la chambre 24, ils ont encore mon 35$ et n'ont sûrement pas encore allumé que je n'ai pas dormi là. Si ces gens étaient hystériques à 17:30 hier, je ne veux même pas savoir ce qu'ils ont l'air à 7:30 le matin. Je garderai la clé comme rappel d'une bonne leçon. Et puis me voilà complètement racheté de mon squatting du jour 2. Je vole une nuit d'hébergement à un riche propriétaire des Adirondacks pour la rendre à de pauvres gens du Kentucky. Un véritable Robin des Routes.

Décidément, mes dimanches sont d'une tranquillité mortuaire. Une fois sorti de la ville qui n'était pas totalement éveillée, personne sur les routes, les maisons semblent toutes inhabitées, même les chiens m'ignorent. Il n'y a que la faune sauvage qui s'agite. J'ai coursé avec des cerfs, des lièvres, j'ai évité une tortue de justesse et un oiseau qui sortait du bas-côté de la route au mauvais endroit au mauvais moment s'est heurté sur mon pied droit et s'est écrasé raide mort sur le bitume. Volatilicide involontaire. Il me semble que Monia s'est déjà pris un carouge à épaulettes dans la roue avant, elle saura le confirmer...

La route de Owensboro à Sebree est plutôt planche avec toujours un doux roulis de collines, des vaches, des chevaux, du blé et du maïs. 60 km sans services. Il y a certes quelques commerces aux croisées de chemin, mais tous fermés le dimanche. Je renouvelle les provisions à Sebree et c'est là que je m'engage sur la fameuse TransAmerica Trail pour la première fois. La route 76 comme on l'appelle, inaugurée en 1976, bicentennaire de la Déclaration d'Indépendance, relie l'Atlantique en Virginie au Pacifique en Orégon. C'est un article sur ce sentier que m'a refilé Monia qui m'a originalement inspiré ce voyage (ça lui apprendra !).

À partir de Sebree, le paysage ne change pas vraiment, mais le relief s'aiguise sensiblement et le vent ne me donne aucun répit. C'est le lot des cyclistes qui décident de partir vers l'ouest: quand il vente de l'ouest, c'est du sérieux. Malgré tout, beaucoup de plaisir à surfer sur ces buttes, les dents au vent. À Marion, au 133e km, il y a un nouveau point de ravitaillement. Une vérification rapide au GPS démontre une absence d'option d'hébergement avant longtemps. Dommage, j'avais cru pouvoir toucher l'Illinois ce soir. Ce sera pour demain. Ce soir, c'est un confortable B&B qui m'accueille pour le prix du Colonel House Motel, mais dans une chambre décente, propre, sécuritaire et Mr Myers sera debout pour mon petit déjeuner à 6:00 demain matin.

J'ai pensé toute la journée à cette histoire de motel. J'ai raconté la chose de façon un peu insolente dans mon dernier article, mais mon contact avec une autre réalité m'a secoué. Pardonnez-moi si j'ai erré en parlant d'ex-prisonniers dans un sens un peu méprisant sans même savoir. Même s'ils l'étaient, tout le monde a droit à une seconde chance. J'ai juste eu l'image du film The Shawshank Redemption dans lequel un des prisonniers est libéré après une peine de 40 ans. Il se retrouve dans un endroit comme ce motel à la semaine.

Rejouez-vous la scène. Une dizaine de pauvres bougres fument leur dernière clope et se rincent la dalle avec du whisky bon marché et moi, arrogant bourgeois, les fesses serrées dans mon cuissard luisant, je leur demande de se tasser avec mon rutilant Cannondale, mon GPS, mon sac The North Face et mon sifflet dans le cou (!) pour aller à ma chambre, la dernière du fond qui se verrouille moins bien que la salle de bain chez-nous... J'ai eu le temps de faire quelques scénarios en roulant aujourd'hui: Dans le meilleur des cas, ils me bâillonnent avec mon cuissard, partent avec tout mon stock, le vendent pour se payer trois ans de loyer. Dans le pire des cas, ce sont vraiment des ex-prisonniers, ils me confirment à la dure tous les mythes que nous entretenons sur le milieu carcéral et j'en ai pour un bon bout de temps à avoir de la difficulté à m'asseoir sur ma selle de vélo...

Trêve de plaisanteries, ce genre d'incursion involontaire dans une réalité si décalée de la mienne m'amène à remettre les choses en perspective. Qui soient-ils, ces gens n'ont pas totalement choisi de demeurer dans ce trou, ils sont probablement laissés à eux-mêmes et connus seulement de la mère et sa fille hystérique qui exigent leur dû hebdomadairement. C'est d'une tristesse rasante et ça donne beaucoup de sens à mon leitmotiv: "Ça pourrait être pire". L'amour de ma vie partage mes jours, j'ai grandi dans une famille unie qui m'a nourri le corps et l'esprit, je suis entouré de vieux potes qui ne me laisseront jamais tomber, j'ai un bon boulot, un bon boss même, enfin bref, la vie n'épargne aucune chance à mon égard. Pas nécessaire de mouliner autant pour faire ce constat, mais disons que ça aide. Vent de gratitude.


37.3309, -88.0809


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4 commentaires:

Anonyme a dit...

Salut Eric,
On s'est inquiété de ne pas te lire pendant quelques jours.
Lâche pas, tu n'es pas seul, je peux te dire que nous sommes nombreux à te suivre virtuellement.
Sylvain M.

Unknown a dit...

Je confirme avoir déjà mouliné un oiseau bien involontairement et j'ai aussi 2 chevreuils à mon actif. Heureusement j'étais en voiture pour ces derniers. Eric tu m'apprends aujourd'hui t'avoir fait lire un article qui t'a inspiré ton voyage. Maintenant la censure existera à la maison. Bye

NoFear a dit...

Ouain, enfin un signe de vie! Pas trop tôt... Bien content de te lire à nouveau! En passant attention Sylvain te lit donc pas trop de sentimentalisme car tu pairas le prix au retour, tu ne pourras pas dire 'non' aux 22 projets qu'il mettra sur ton bureau avec en prime une jolie pagette couleur assortie à ton cuissard luisant! ;-) (Oup's si Sylvain te lit il me lit aussi!!!)

En parlant de toi avec des copains sur la petite aventure ce week-end, un ami m'a mentionné une 'course/traversée' du canada de 7600km en 19 jours (~400km/jour)avec une 50e de personnes, l'avoir su tu aurais pu les rejoindre et ca t'aurais fait un beau peloton... Je t'ai envoyé les infos...bonne lecture!

Lâche pas et surtout garde le spirit...

Anonyme a dit...

Salut Éric,
Je suis en mode rattrapage mais pas à cause de mon voyage de pêche... Un événement hors de notre contrôle m'a retenu à la maison avec ma petite famille... Ce genre d'événement qui t'amème une bonne bouffé de gratitude... Je te raconterai cet automne...
Décidément,il fait bon de pouvoir recommencer à te lire.
Prend bien soin de toi